La filière laitière est considérée comme un acteur stratégique de la sécurité alimentaire du pays. Elle représente à elle-seule 25% de la production animale, 11% de la production agricole, 40% de la main d’œuvre agricole. Cependant, le membre de l’UTAP, Faouzi Zayani a annoncé que le stock stratégique de la Tunisie en lait suffit à peine à 20 jours de consommation sachant que nous sommes passés de 50 millions à 20 millions de litres. Il a ajouté que l’Etat a abandonné toutes les filières agricoles, ce qui a conduit à leur écroulement l’une après l’autre. Zayani a déploré qu’avec cette politique, l’Etat ait habitué les Tunisiens aux pénuries et au rationnement.

En effet, la crise du secteur laitier alimente de plus en plus les débats. Alors que jadis, dans les années 1990, la Tunisie a atteint l’autosuffisance et même des épisodes de surproduction, maintenant depuis quelques années, le secteur laitier connaît des crises à répétition.

« On a oublié ce que mangeaient les vaches »

La CONECT (Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie) a organisé fin septembre une conférence afin d’exposer les problèmes auxquelles fait face ce secteur. Sachant que, chaque année le nombre de bêtes présentes en Tunisie ne cesse de baisser faisant inexorablement diminuer les stocks laitiers. D’après le membre du bureau exécutif du syndicat des agriculteurs de Tunisie (SYNAGRI), Karim Daoud, le problème majeur auquel font face les exploitants aujourd’hui réside dans la nourriture. « En Tunisie, on a amené des animaux, on a créé des centres de collectes, on a fait des industries laitières mais on a oublié ce que mangeaient les vaches. Ainsi il ne faut pas s’étonner de l’augmentation des coûts de production car l’alimentation représente 70% du coût de production d’un litre de lait ou d’un kilo de viande », explique-t-il. Les petits éleveurs, qui possèdent moins de six têtes et qui constituent 80% du contingent de la profession, affrontent les augmentations des prix des aliments pour bétail, principalement soja et maïs. Tous deux sont importés et tous deux ont vu leur cours mondial doubler, voire tripler. Ces éleveurs ont mis en garde, à maintes reprises, contre l’effondrement de cette filière à cause de l’absence de décisions et d’interventions pertinentes de l’Etat en faveur de la filière, précisant que le déficit enregistré dans les quantités de lait reçues habituellement par les usines a atteint 12% et pourrait atteindre 20% au cours de la prochaine période.

Face à de tels coûts, les pays du monde se sont adaptés aux changements, ce qui a eu pour conséquence l’augmentation du prix du litre de lait. Ce n’est malheureusement pas le cas en Tunisie. « Quand il y a une augmentation du cout de production, il faut que les prix à la vente suivent le rythme. Or en Tunisie, ce n’est pas le cas. Nous ne pouvons plus continuer à vendre en dessous du cout de production », a affirmé le Directeur général du Groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait, Kamel Rejaibi. Sans oublier les facteurs internationaux qui ont aggravé cette crise, notamment la guerre en Ukraine et la crise sanitaire du Coronavirus, et puis les facteurs locaux concernant : la traite, la collecte et le transport et qui sont, tout autant, des facteurs handicapants pour les petits éleveurs.

Cheptel bradé

C’est ce qui a d’ailleurs conduit une bonne partie d’entre eux à vendre leurs bêtes afin de baisser leurs coûts de production. Au mois de mai, l’Union tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP), a revendiqué une hausse du prix du lait d’au moins 715 millimes / litre au profit de l’éleveur.Elle a réclamé également une hausse de la subvention de la collecte du lait de 60 millimes / litre et une hausse de 120 millimes / litre du lait demi écrémé au profit de l’industriel, et exige un versement immédiat de toutes les indemnités, au titre des arriérés auprès de l’Etat, relatives à l’exploitation, la collecte et le stockage. L’abandon des producteurs nationaux de leurs troupeaux puisqu’ils ne peuvent plus assumer les coûts de production, agit beaucoup sur la production. D’où l’urgence de réviser les prix d’après Midani Dhaoui, président du syndicat des Agriculteurs. Face à cette situation, les autorités publiques ont choisi d’importer du lait de vache depuis la Slovénie. Une décision qui a été très critiquée par le président du syndicat des agriculteurs. « L’approvisionnement sera difficile compte tenu de la guerre entre la Russie et l’Ukraine », a-t-il précisé. Il est vrai que les Tunisiens se sont habitués aux pénuries ces derniers temps, mais s’il n’y aura pas de solutions pour stopper l’hémorragie de la filière laitière, la situation va s’empirer d’autant plus que nos réserves en devises ne nous permettent pas non plus d’importer autant qu’on voudra. Et l’importation reste toujours la solution de facilité au lieu de traiter le problème sérieusement.

Leila SELMI