Par Raouf Khalsi
Par quelle construction de l’esprit en sommes-nous amenés à considérer qu’un « idiot utile » ne puisse être qu’un politique (ou un intellectuel) de gauche ? Et, qu’est-ce qu’un « idiot utile » ?
Cette expression, communément admise, renvoie à « des personnalités qui servent des desseins divergents de leurs représentations authentiques, et se trouvent, bien que peut-être de bonne foi, utilisés, instrumentalisés ou manipulés ». Il est, donc, clair que la scène politique nationale a réinfanté le vieux paradigme de la quintessence de la stupidité.
Stupidité récurrente du fait qu’au lendemain de la révolution, Moncef Marzouki, droit-de-l’hommiste non accompli, ouvrait une autoroute pour le pouvoir autocratique d’Ennahdha.
Double stupidité aussi, quand Iyadh Ben Achour faisait filtrer les objectifs de la révolution (à la Constituante) à travers le tatamis nahdhaoui.
Plus tard, tous les partis cocotte-cocotte-minute (à commencer par Nida Tounès jusqu’à Tahya Tounès) pourtant fondés sur la classique charte de de la démocratie, ont reproduit les éternels « idiots utiles », se déjugeant, se désavouant lorsqu’ils décidaient aveuglément d’arrimer leurs barques au navire nahdhaoui, par ailleurs très habile à surfer sur les vagues et à s’approprier ce « factice jeu démocratique ». Au point que, maintenant, plus d’une année après le cataclysme du 25 juillet, Ennahdha s’aliène presque tous les courants (le Front du salut national en premier) autour de sa vision propre de la démocratie. C’est-à-dire qu’il s’aliène ses ennemis chroniques.
La Gauche, elle, traditionnel terroir des « idiots utiles » (en Occident, manipulés par le régime soviétique et, chez nous, dès temps de Ben Ali, pilier de la connexion gaucho-intégriste), eh bien, cette Gauche se disperse aujourd’hui. On espérait voir se muer au sein d’elle une troisième voie à la Berlinguer, rien n’y fit. C’est que la cassure, consommée depuis longtemps à cause d’une banale question de leadership et de représentativité au parlement, génère un marchandage idéologique à quatre sous ; qui, pour plaire à Saied ; qui, pour l’affronter.
Si l’on demandait à Néjib Chebbi, ce grand militant pour la démocratie dès temps de l’ancienne dictature, de se définir aujourd’hui sur l’échiquier politique, à quelle enseigne se rangerait-il ? Déterminisme, exercice d’une politique vieux- jeu et schizophrène : voilà la réponse ! Parce que lui aussi fait acte de parjure. Il est manipulé, tout autant que Jawher Ben M’barek (l’homme qui s’inclinait tout en dévotion devant la razzia électorale de Saied) par ce grand marionnettiste qu’est le parti islamiste.
C’est ainsi que s’ouvre, haute béance, une nouvelle ère qui fait que Saied, fort de ses convictions populistes, referme la parenthèse de la démocratie transitionnelle. Il s’accomplit dans l’adversité, tandis que ses adversaires ne font que lui dérouler le tapis rouge.
Nous sommes finalement dans un régime fantasmé. Et des deux côtés.