La crise du lait bat encore son plein en Tunisie. L’OTIC (Organisation Tunisienne d’Information du Consommateur) a publié, un communiqué où elle déplore le fait que les dérivés laitiers, comme le yoghourt, soient disponibles en grande quantité, alors que le lait lui-même est en rupture de stocks. Ainsi, l’Organisation appelle les citoyens à boycotter le yoghourt et appelle à dénoncer tous les commerçants qui exigent l’achat des yoghourts pour vendre le lait demi écrémé. “Si l’appel au boycott du yaourt se multiplie, il y a de quoi faire pression pour que le lait soit disponible sur le marché », lit-on dans le communiqué.

L’OTIC a pointé l’aggravation de la crise du lait demi-écrémé, et la grande rareté de ce produit chez les détaillants, malgré la disponibilité des dérivés du lait en grande quantité. « Le principe est de fournir du lait demi-écrémé puis de fournir ses dérivés. Ce qui se passe c’est de la vente conditionnée et c’est illégal » a-t-elle ajouté.

Rappelons, que le mois dernier, le président de la République, Kaïs Saïed s’est rendu, à une usine de production de lait appartenant au groupe. Il avait affirmé, que la pénurie résultait de la spéculation et que la seule façon de lutter contre ce phénomène n’était autre que de produire plus. . Le chef de l’Etat a, encore une fois, qualifié les circuits de distribution de circuits d’affamement du peuple. Il a critiqué la politique du ministère du Commerce. Il a affirmé qu’on accusait des petits épiciers de spéculations alors qu’ils n’étaient en possession que de quelques bouteilles ou briques de lait et sans cibler les entrepôts de stockage des grands spéculateurs.

« Renforcer la production »

« Le lait 0% n’était pas toujours disponible… On l’introduit sur le marché dans le but de rééquilibrer les tarifs, car son prix n’est pas fixé par la loi… Nous devons mettre fin aux crises en renforçant la production… C’est une crise provoquée… Nous sommes en guerre… Même si la marge de bénéfice régresse ! Ce n’est pas problématique… Nous ne devons pas laisser les enfants sans lait… On ne peut acheter le lait qu’en achetant du yaourt ! De la vente conditionnée ! Y-a-t-il des vaches qui donnent du lait et d’autres qui donnent des yaourts ? Le lait, c’est du lait ! Pourquoi le fromage et le beurre sont-ils disponibles ! Y-a-t-il des vaches qui donnent du lait écrémé et d’autres qui donnent du lait demi-écrémé ? », s’est-il interrogé.

La pénurie des briques de lait perdure depuis le mois de juillet et est le symptôme d’une filière laitière qui souffre. Du coté des éleveurs, cette crise, est due à plusieurs facteurs. Outre les sécheresses, les éleveurs doivent faire face à une hausse du coût de l’alimentation du bétail. Le prix des matières premières a augmenté de 30 % ces six derniers mois alors que celui du lait n’a augmenté que de 15 %. Selon le président de la Chambre Syndicale Nationale des Collecteurs de lait, « La récente augmentation de 200 millimes octroyée aux éleveurs de vaches et aux producteurs reste insuffisante au regard du prix élevé des fourrages ». Revenant sur ce problème de fourrage, le chargé de la production animale et membre du bureau exécutif de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), Limam Bargougui a fait remarquer que l’agriculteur n’est plus en mesure de fournir des fourrages riches en protéines (soja, maïs, l’orge et cèdre). Leurs prix se sont envolés, notamment après la guerre russo-ukrainienne. Par conséquent, beaucoup d’éleveurs baissent les bras et vendent leurs vaches.

Situation lamentable du cheptel

La diminution du cheptel est estimée entre 20 % et 30 % sur les trois dernières années. Autre problème, la Tunisie importe depuis des années des vaches holstein, une race connue pour sa capacité à produire beaucoup de lait, mais qui ne s’adapte pas au climat tunisien. Pour les éleveurs laitiers, cette crise pourrait bien être celle de trop. Près de 30 000 vaches ont été vendues cette année à l’Algérie.

Dans ce contexte, l’UTAP juge, indispensable de réviser à la hausse le prix minimum garanti du lait au niveau de la ferme à 600 millime par litre et de mettre en place un plan national de développement des produits fourragers locaux adaptés à la conjoncture de changement climatique et tenant compte des besoins réels des ressources animales et naturelles. Beaucoup de problèmes doivent être résolues dans cette filière pour soutenir l’approvisionnement du marché laitier local en vue de prévenir une pénurie de l’offre. D’ailleurs, récemment, il a été décidé que les importations de lait en poudre et de beurre seront exonérées de taxes en 2023. C’est ce que prévoit la nouvelle Loi de Finances pour ladite année fiscale présentée le 26 décembre par Sihem Boughdiri, ministre des Finances.

La situation économique en Tunisie est très difficile. Les indicateurs ne laissent guère entrevoir d’amélioration alors que l’inflation a atteint les deux chiffres. Les prix ne cessent d’augmenter affectant drastiquement le pouvoir d’achat des Tunisiens. Le risque d’effondrement du secteur laitier n’est qu’un dysfonctionnement parmi d’autres d’une économie tunisienne en berne. Ces pénuries à répétition révèlent l’incapacité des autorités à empêcher l’économie de dégringoler. La mise en place des réformes structurelles devient un impératif, pour sauver la Tunisie.

Leila SELMI