Le doyen Habib Kazdaghli a été démis de son titre honorifique de professeur émérite par le conseil scientifique de l’Université de la Manouba. Cette décision léonine a été contestée par de nombreux pans de la société civile et par plusieurs universitaires. Nous vous proposons dans cette chronique, une lecture de la situation née de cette péripétie ainsi qu’un regard sur la longue tradition d’ouverture de l’université tunisienne.
J’ai eu dans ma jeunesse, la grande chance de rencontrer plusieurs grands universitaires tunisiens. Aujourd’hui encore, je me souviens de Béchir Tlili et Mohamed Hedi Chérif qui m’avaient donné le goût du dix-neuvième siècle tunisien.
Celles et ceux qui ont fait de l’université, un laboratoire démocratique
J’ai également une immense dette à l’égard de Hafedh Sethom et Ahmed Kassab qui m’avaient appris le territoire dans ses moindres replis et donné la leçon de géographie que le lycée n’avait pas au programme.
Ces gens du savoir étaient nombreux et surtout modestes, tournés vers leur enseignement et leurs recherches. Ils étaient également généreux et prodiguaient leur savoir à qui le demandait et sans compter. Je pourrais citer une centaine de noms que je n’épuiserai pas cette généalogie du savoir en partage.
Comment ne pas citer parmi ces mentors impromptus Abdelwahab Bouhdiba, Fathi Triki, Azzeddine Guellouz, Jacques Darcueil et Georges Nonnenmacher, Tahar Gallali ou Mohamed Ben Ahmed, tous passionnés par la connaissance et investis pour sa diffusion.
Aujourd’hui encore, je demeure dans le sillage de plusieurs universitaires de grand calibre à l’image de Mohamed Jaoua, Hatem Mrad et consorts. Auprès d’eux, c’est l’intelligence qui prévaut et passe devant toute autre considération.
C’est dans cette optique que des savants authentiques comme Abdelaziz Kacem ou Alia Baccar Bournaz et Hédia Khadhar sont toujours disponibles, faciles à aborder et prompts au partage. Pour ne citer qu’eux, car je l’ai dit, la liste de ces justes qui prônent le partage du savoir est heureusement fort longue.
Ces personnalités ont en commun de considérer que l’université n’est pas une tour d’ivoire et que le mandarinat n’est plus de mise. Leurs héritiers sont nombreux et j’ai le bonheur d’en côtoyer quelques-uns à l’image de Riadh Ben Rejeb, Mohamed Kerrou, Sana Ben Achour, Fatma Charfi ou Farah Hached pour ne citer qu’elles et eux.
Conseil scientifique ou mirador ?
Dans cet inventaire du savoir vertueux, Habib Kazdaghli figure en bonne place. Foncièrement engagé, militant du savoir qui éclaire et chercheur infatigable, il a toujours respecté la collégialité et les libertés fondamentales, individuelles ou académiques. Entre ses engagements politiques et son cursus universitaire, Habib Kazdaghli est un homme irréprochable à qui il est incompréhensible qu’on s’attaque.
Ceux qui le font, du haut de leurs dérisoires tours d’ivoire devenues des tours de contrôle aux allures de miradors, prennent une triste revanche sur un homme d’honneur. Je crois qu’il leur est insupportable que l’un de leurs pairs réussisse brillamment et en conviction.
La notoriété internationale de Habib Kazdaghli taraude certainement leurs jalousies grégaires et leur brutalité atavique envers tout ce qui leur échappe. Plus largement, le travail de fond de ce professeur émérite, les met face à leurs failles et leurs propres fragilités.
Plus haut, j’évoquais de grands professeurs qui ont marqué leur époque mais qu’en est-il aujourd’hui quand le laborieux le dispute au besogneux et que les universitaires sont arcboutés à leurs dignités et recroquevillés sur leurs privilèges ?
C’est une mentalité de « meddeb » qui prévaut aujourd’hui à l’université et je le dis en toute conscience, en me référant à la génération précédente. Où sont passés la générosité, le partage et le respect du disciple ?
Je ne reconnais plus les traits de ce qui devrait être le laboratoire démocratique par excellence.
Qu’un comité scientifique dégrade un enseignant et un chercheur de la trempe de Habib Kazdaghli, n’est pas un fait anodin. Hier, on aurait pu le faire subir à ceux qui n’étaient pas dans l’uniformité et pourquoi pas Salah Garmadi, Daly Jazy, Mohamed Talbi, Ali El Hili ou d’autres iconoclastes !
Et puis, ne l’oublions pas, tout scientifique qu’il soit, ce comité est également traversé par les clivages politiques de ses membres. Et certaines tendances idéologiques bien implantées malgré leur passéisme, ont une dent contre le doyen Kazdaghli.
Toutes ces manœuvres cousues de fil blanc ne seraient que risibles et pitoyables si elles ne recélaient un terrible relent d’inquisition. On s’attaque à l’honneur d’un homme, au nom d’un autodafé qui ne dit pas son nom et se cache sous les oripeaux blafards d’un conseil scientifique détourné de sa vocation et des principes qui devraient lui tenir lieu de charte.
Ce conseil de discipline a quelque chose de médiéval, de profondément violent. Parmi ceux qui le composent, certains ne ressentiront même pas l’insupportable anomalie qui sous-tend leur arrêt si contestable.
Un homme de conviction face à des courants revanchards
Ce n’est pas la première fois qu’on tente en l’humiliant, de faire payer à Habib Kazdaghli, sa singularité. Sans doute persévérera-t-il malgré ce tir de sommation, dans le chemin qui est le sien. Car il est d’abord un homme de conviction rompu à l’adversité, l’incompréhension et tous les dénis.
Pour ce qui me concerne, il restera toujours un ami que je respecte et admire pour sa résolution et son savoir-faire. Qu’un comité scientifique probablement dominé par des courants revanchards, lui fasse un sort, n’y changera rien.
L’opportunisme politicien va toujours à contre-courant de l’histoire. Ce n’est pas le cas de Habib Kazdaghli qui, à sa manière, est un révélateur de notre histoire humaine et aussi un défricheur d’avenir. Si le populisme ambiant peut mettre des menottes aux fleurs, il lui sera difficile de bâillonner l’intelligence du monde. Malgré une regrettable vendetta qui est à classer au registre des gesticulations.
Hatem BOURIAL