Qui n’a jamais fait intervenir un parent ou une relation pour trouver un emploi ou obtenir un service auprès d’une administration ? Ce coup de pouce que l’on appelle « piston » fait partie des mœurs dans presque toutes les sociétés et notre pays ne fait pas l’exception. Le piston c’est, comme dirait l’autre, le sel de nos repas ! Qui n’en mettrait pas, de ce sel, pour régler n’importe quelle affaire qu’il lui est impossible de conclure autrement ? C’est désormais un passage obligé dans quasiment toutes nos administrations publiques et privées. Pour le moindre des services, on sollicite l’intervention de quelqu’un de haut placé et souvent on se trouve forcé d’y recourir.

Cela ouvre magiquement toutes les portes et permet de gagner un temps fou qu’on aurait inutilement perdu sans la recommandation de monsieur untel ou de madame unetelle. Il y a, paraît-il, un plaisir incomparable (sadique, pour les mauvaises langues et les envieux) à passer avant les autres grâce au coup de pouce donné par une personne influente. Les passe-droits donnent un sentiment de supériorité unique en son genre. Tous ceux qui en ont bénéficié vous le confirmeront.

Le piston, une pratique indigne assez courante

A dire vrai, ça existe partout : les réfractaires à l’ordre, Les passe-droits, les hors-la-loi et les adeptes de la loi de la jungle font prévaloir en toute circonstance leurs prestations en proposant leur « aide » aux citoyens trop pressés ou habitués à se faire servir par des moyens détournés. Ils sont partout, dans les administrations pour vous faire retirer un document ou payer une facture sans trop attendre votre tour. Ils sont nombreux dans les stations du transport public ou les stations de taxis et des louages où on vous fait trouver une place avant même ceux qui attendent depuis des heures. Ils sont également présents dans les grandes surfaces, surtout aux moments des pénuries des denrées alimentaires, pour « servir » en cachette certains clients en leur fournissant tel ou tel produit en pénurie. Toutes ces « prestations » sont rémunérées, moyennant un « pots-de-vin » ou un « pourboire » offert en cachette ou encore des « cadeaux de valeur » si le service rendu est assez important. Le piston a même atteint les établissements scolaires, lors des inscriptions des élèves. En effet, à la rentrée des classes, une sélection a lieu dès le départ des élèves issus des parents aisés et pistonnés, et d’autres dont les parents sont inconnus, et n’ayant pas d’appuis.

Sur un autre plan, ces « transactions » douteuses se passent également lors d’un concours imminent dans l’un des ministères, on recourt alors à l’intervention de tel ou de tel autre parmi les fonctionnaires influents de l’Etat pour intervenir dans le processus du recrutement. Quand il s’agit de rencontrer un haut responsable, on ne passe jamais par les voies ordinaires et légales, mais souvent en recourant à des moyens détournés sous forme de recommandation ou de piston. De même, dans les banques, pour obtenir un énième prêt auquel on n’a pas droit, il y a toujours quelqu’un qui sait à quelles portes frapper ! Et dire que ces pratiques ne sont pas l’apanage d’une classe déterminée, en fait. Aujourd’hui, elles sont devenues ordinaires aussi bien chez les riches que chez les pauvres, chez les jeunes que chez les vieux, chez les hommes que chez les femmes. L’objectif étant de se faire servir aisément et le plus vite possible par tous les moyens !

Dans le monde professionnel, le piston, ou la recommandation personnelle, continue de représenter le chemin le plus court pour décrocher un emploi, que ce soit dans le secteur privé ou public Toutefois, cette pratique semble avoir des retombées négatives sur la performance de l’entreprise, la motivation des autres salariés, mais aussi sur le pistonné lui-même qui se voit incapable de développer ses compétences d’autonomie et de responsabilité.

Une pratique qui existe depuis toujours

En référence au piston mécanique né en 1857 qui est une pièce qui pousse et appuie, le verbe “pistonner” est un terme français, qui au sens figuré signifie appuyer quelqu’un. “Avoir du piston”, “avoir un piston”, “avoir un coup de piston”, autant d’expressions qui veulent dire « avoir une personne qui nous pousse pour obtenir quelque chose » par son réseau, son renom, sa fonction ou sa situation. Pour bon nombre de gens, il semble naturel de vouloir aider ses proches, mais jusqu’à quel point est-il possible de le faire ? C’est quand cette pratique devient taboue et souterraine en faisant naitre toutes les fantasmes : corruption, pot-de-vin, commission, cadeaux, pourboires, ou traitement de faveur, cela peut devenir choquant ou inacceptable. D’ailleurs, le pistonné se fait toujours remarquer et il est pointé du doigt par l’entourage.

Pourquoi ces pistons existent ? C’est la question qu’on doit se poser. Certains se retournent contre la personne « pistonnée ». Ils pensent alors que c’est elle qui a insisté pour avoir ce privilège, c’est elle aussi qui a toujours compté sur les autres pour exaucer ses vœux, c’est elle enfin qui n’a pas de confiance en ces compétences et préfèrent toujours être soutenue par quelqu’un ! Cette mentalité existe malheureusement chez tant de Tunisiens qui veulent brûler les étapes et se distinguer des autres. Or, Jean de la Fontaine n’a-t-il pas dit dans l’une de ses fables : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. »

Hechmi KHALLADI