On a tendance à croire, dans certains milieux de chez nous, que la colonie d’immigrés tunisiens résidant ou / et travaillant en Occident n’est composée que d’ouvriers ou de mains-d’œuvre non spécialisées. Or, depuis quelques décennies, la présence tunisienne en Occident (particulièrement en France) s’est enrichie de compétences supérieures très prisées, tels que des médecins (toutes spécialités confondues), des chirurgiens, des ingénieurs en informatique, de chercheurs et même d’hommes de lettres et d’artistes.
Il est vrai que le phénomène de la « fuite des cerveaux » est un problème constaté dans le monde entier : des travailleurs hautement qualifiés migrent vers les pays développés, si bien que leur pays d’origine perd l’une de ses ressources les plus rares : le « capital humain ». Ainsi l’exode des cerveaux conduit à une perte substantielle de talents pour les pays de départ et à un gain pour les pays d’arrivée. Selon l’OCDE la Tunisie était classée en 2020 au deuxième rang des pays arabes en matière de fuite des cerveaux, après la Syrie. Environ 8 200 cadres supérieurs, 2 300 ingénieurs, 2 300 enseignants-chercheurs, 1 000 médecins et pharmaciens, et 450 informaticiens ont quitté le pays en 2018, d’après l’Office des Tunisiens à l’étranger.
Selon une étude menée par l’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge), les départs des « talents » sont motivés par les mauvaises conditions de vie en Tunisie, les personnes concernées citant parmi les raisons les ayant poussées au départ la corruption, l’avenir incertain, le climat liberticide, la bureaucratie, l’instabilité politique et les meilleures opportunités professionnelles et financières à l’étranger (un salaire souvent multiplié par six ou sept).
Le génie tunisien
Le phénomène de la fuite des cerveaux en Tunisie est marqué par le nombre croissant de cadres tunisiens partis à l’étranger. Si le départ de ces hauts potentiels est considéré comme une perte, d’autres, en revanche, le voit comme un gain pour la Tunisie. Les avis sont certes mitigés, mais le cas de la Tunisie permet d’interroger les effets de l’évolution du phénomène de la fuite des cerveaux sur l’économie tunisienne, devenue exaspérée depuis la Révolution. Dans le secteur informatique, tout particulièrement, la fuite des cerveaux ne cesse de s’intensifier, ce qui impacte lourdement les entreprises tunisiennes, qui rencontrent de nombreuses difficultés tant pour recruter des candidats que pour les retenir.
Le nombre des cadres tunisiens établis à l’étranger est de plus en plus nombreux. Ils sont répartis en six catégories selon l’ordre suivant : enseignants et chercheurs, ingénieurs et architectes, médecins et pharmaciens, informaticiens, avocats et autres. Les données sont fournies pour les principales régions de destination du monde : l’Europe, l’Amérique du Nord, les pays arabes, l’Afrique, l’Asie (le Japon, en particulier) et l’Australie. A noter que ces dernières années, le phénomène devient féminisé puisque de grands cadres féminins choisissent de partir pour l’Occident pour y travailler. En moyenne, la part des femmes tunisiennes dans la fuite des cerveaux est de 25 %, constituant une part assez importante qui va sûrement augmenter dans un contexte où la fuite s’est inscrite dans les habitudes de notre société.
La fuite des cerveaux tunisiens ne se limite pas aux seuls cadres scientifiques, mais il s’étend sur d’autres domaines littéraires et artistiques. En effet, dans le domaine littéraire, plusieurs écrivains d’origine tunisienne ont choisi de vivre en France et dont les œuvres portent la trace de leur « exil ». En poésie également, des poètes tunisiens résident depuis des années en France où ils ont publié des chefs-d-œuvres poétiques traduits en plusieurs langues. Dans les arts plastiques, des artistes tunisiens ont fait leur preuve grâce à leurs créations artistiques, exposées dans les meilleurs musées de l’Europe.
Les répercussions sur l’économie nationale
La fuite des cerveaux tunisiens a un effet direct sur l’économie tunisienne : la dépréciation du capital humain, et donc la réduction de la croissance économique, à cause du manque à gagner qui peut en résulter pour la Tunisie. Toutefois, la fuite des cerveaux dont sont victimes certains pays devient un gain de cerveaux pour les pays qui en bénéficient. Cependant, si la fuite des cerveaux contribue, comme le prétendent certains, au transfert de la technologie moderne dans tous les domaines, les pays occidentaux sont en profitent beaucoup mieux en accueillant ces « génies ». Et puis, tant que la crise économique sévit en Tunisie, le phénomène ne peut que s’amplifier. En effet, selon une étude menée par l’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge), les départs des « talents » sont motivés par les mauvaises conditions de vie en Tunisie, la corruption, l’avenir incertain, la bureaucratie … Par ailleurs, il serait important pour l’Etat de mettre en œuvre des mesures qui encouragent les migrants qualifiés à revenir dans leur pays après avoir acquis d’utiles compétences à l’étranger.
Hechmi KHALLADI