Je ne veux pas bronzer idiot ! Un slogan de légende pour une manifestation mythique, qui… ne se tiendra pas. A Tabarka, l’énième annulation du Festival de Jazz, annoncée il y a quelques jours, sonne comme un glas. Dans l’impossibilité de payer les factures, les organisateurs jettent l’éponge. Un coup de massue de plus dans la médiocrité ambiante.

Pourtant, ce fut un temps où les têtes d’affiches du jazz mondial se bousculaient au portillon de la scène mythique de la Basilique. Il faut compter de très gros bonnets comme Miles Davis, Manu Dibango, Joan Baez, Dizzy Gillespie, Al Di Meola ou encore Bernard Allison, Diana Krall et Michel Jonasz pour ne citer qu’eux. Outre des concerts qui ont fait date avec Alpha Blondy, Cheb Khaled, Césaria Evora, Léo Ferré ou encore Abdelhalim Hafidh, les Soft Machine et Miriam Makeba. Rien que ça ? Les légendes immortelles affluaient vers Tabarka : Al Jarreau, Billy Paul, Barbara Hendricks, Lucky Peterson, Keith Jarrett, Charles Mingus, Claude Nougaro. Et la liste est longue !

Organisé en août en pleine saison des premières mondiales, le Festival de jazz de Tabarka arrachait les concerts inédits et tenait, pendant des décennies, la dragée haute aux grandes manifestations internationales. Ce fut le temps où Tabarka n’avait rien à envier devant des mastodontes du jazz international comme Montreux en Suisse, New Orleans aux USA, ou Montréal au Canada. Pour attirer les grosses pointures, le festival écrasait toute concurrence, notamment grâce aux charmes irrésistibles de la ville et un public grandiose et d’une rare qualité. A l’échelle locale, la manifestation fixait agréablement la barre trop haut dans l’évènementiel estival. Des festivals à grands budgets comme Carthage et Hammamet se battaient les flancs pour « suivre la cadence ».

Initié dans les années soixante sous l’impulsion de Lotfi Belhassine, le Festival de Jazz de Tabarka connait ses heures de gloire à partir des années soixante-dix. Après des hauts et des bas, la manifestation prend un second souffle dans les années 90 et 2000 sous la poigne de fer de Jilani Dabboussi. Un dirigeant qui, malgré les controverses autour de sa « manière de gérer », a su redonner ses lettres de noblesse à la manifestation. Après son départ, une longue descente aux enfers commença…

Aujourd’hui, après quelque « come-back » plus ou moins réussis, le festival se démène, toujours, pour résister à la mort. Avec comme vœu pieux de retrouver sa gloire perdue. Pour 2023, Jalel Hilali, l’actuel directeur du festival, déplore un manque flagrant de subventions malgré une programmation ambitieuse. Lui, qui avait relancé le festival en 2019 avec une édition plus que correcte. Résultat des courses : annulé quatre ans de suite, dont deux éditions pour cause de Covid, le festival de jazz meurt à petit feu…

Du côté des autorités publiques, la mauvaise nouvelle tombe dans l’oreille d’un sourd. Le ministère de la Culture, celui du Tourisme, la ville de Tabarka et le gouvernorat de Jendouba, qui n’ont jamais su accorder leurs violons pour contribuer à la pérennisation de la manifestation –patrimoine immatériel de la nation-, sont aujourd’hui tous en partie coupables.

Dans la médiocrité ambiante, les festivals d’été poussent comme des champignons. Redondances, platitude et mauvais goût sont évidemment de mise. Pendant ce temps, Tabarka, elle, perd son âme. On touche le fond.

Slim BEN YOUSSEF