L’école d’aujourd’hui serait-elle à l’origine d’une certaine aversion pour les études chez certains élèves. Ces derniers s’ennuieraient-ils à l’école ? On est en droit de poser cette question afin d’apporter, le cas échéant, les solutions nécessaires avant qu’il ne soit trop tard !
Insuffisances au niveau des infrastructures scolaires, anomalies dans le temps scolaire, lacunes dans les programmes officiels et le cursus scolaire, tout cela caractérise depuis longtemps l’école publique en Tunisie.
Ajoutons à cela les arrêts des cours fréquents décidés par le syndicat de l’enseignement : la rétention des notes n’est qu’un exemple récent qui a perturbé le bon déroulement des études lors de l’année scolaire écoulée en provoquant la colère des parents. Ce constat a même été confirmé par le ministère de tutelle. N’est-ce pas là une raison pour laquelle on opte de plus en plus pour l’enseignement privé ?
Doléances tous azimuts
Depuis des années, la tension scolaire semble monter d’un cran dans pas mal de familles, notamment celles dont l’enfant n’ayant pas eu la moyenne. Peu satisfaits des résultats obtenus par leurs enfants, certains parents se lamentent des résultats de leurs enfants et des conditions de scolarité de leurs enfants dans les établissements publics. « En effet, nous a déclaré un prof, notre système sélectif a fait que les collèges et les lycées ne reçoivent actuellement que des élèves plutôt faibles et ce, depuis la création des collèges et des lycées pilotes ! Croyez-moi que j’ai des élèves de 7è année de base qui ne savent pas écrire leur nom et encore moins déchiffrer un mot en français ! Comment s’attendre à ce que ces élèves en difficulté puissent s’améliorer ? Dans chaque classe, quelle que soit la matière enseignée, le prof doit suer sang et eau pour les faire rattraper, ne serait-ce qu’à un niveau moyen ! »
Pourtant, pour la plupart des parents, soucieux de l’avenir de leurs chérubins, il y a seulement le résultat final qui compte ! Ils font peser leurs inquiétudes sur leurs enfants en exerçant sur eux toutes sortes de pressions à la maison, dans l’espoir de voir de meilleurs résultats. Or, ils se trompent grossièrement ! Un prof de français dans un collège de banlieue nous a confié que « pas mal de parents qui viennent me voir sont vraiment inquiets pour leurs enfants, non qu’ils soient faibles mais parce qu’ils veulent abdiquer, renoncer complètement aux études ! Imaginez le chagrin des parents face à un enfant qui en a marre d’aller à l’école ! Et ils sont nombreux qui vivent cette épreuve ! On vient donc me demander d’intervenir pour dissuader ces enfants récalcitrants ! »
Dans le privé, on est mieux servi !
Il fut un temps où les élèves médiocres ou défaillants étaient inscrits par leurs parents dans des établissements privés connus pour une certaine largesse dans la notation et d’un laisser-aller notoire dans la discipline. Par le passé, ces boîtes privées servaient de refuge pour les élèves indisciplinés, ratés ou rebelles qui trouvaient ces lieux à leur mesure. Ces dernières années, certains parents retirent leurs enfants, parfois appliqués, des établissements étatiques pour les inscrire dans le privé, sous prétexte que l’école publique exerce trop de pressions et imposent des règlements un peu trop stricts sur leurs enfants qui souvent n’arrivent pas à s’y adapter et finissent par être débordés et stressés. D’autres parents le font à causes des conditions de scolarité qu’ils jugent médiocres. Ce mouvement semble s’accroître d’une année à l’autre, du moment que l’élève fournit moins d’effort dans ces écoles privées tout en obtenant de bonnes notes ! Quant à la discipline, il ne s’en soucie jamais : il est plus facile d’avoir son billet de retard et il se sent plus « choyé » par une administration plutôt laxiste. C’est surtout pour ces raisons que pas mal d’élèves poussent leurs parents à les inscrire au privé ! Un parent nous a expliqué cette stratégie en ces termes : « Mon premier enfant a raté son bac une première fois. L’année suivante, j’étais obligé de le muter dans une boîte privée et c’est ainsi qu’il a décroché son bac dès la première session ! Pour le second enfant, je l’ai inscrit dès l’entrée en 4è année dans le privé et ainsi, il a eu son bac d’office ! Quand on est sûr du résultat pourquoi ne pas le faire, d’autant plus que le bac constitue un grand obstacle dans la scolarité de l’élève ! » Et ce n’est pas par hasard que l’effectif des élèves a considérablement augmenté et les classes terminales sont trop chargées dans les lycées privés. »
Que veut l’élève d’aujourd’hui ?
La loi relative à l’orientation de la vie scolaire de 2002 a pourtant privilégié l’élève en le plaçant au centre de toute opération éducative, aussi constitue-t-il l’axe autour duquel s’articulent tous les autres acteurs scolaires (enseignants, administration et parents). Il est, de ce fait, la cible de toutes les activités scolaires et de toutes les réformes qui s’opèrent de temps à autre dans le système scolaire. C’est dans cette perspective que l’école doit changer.
Nous entendons par école tout ce qui s’y rapporte : élèves, enseignants, parents, programmes, temps scolaire, infrastructure, discipline, pédagogie, rapports profs-élèves, rôle de l’éducation, valeurs morales, clubs scolaires, activités extrascolaires, et j’en passe. Toutes ces composantes ont subi des changements radicaux à travers l’histoire de l’école et continuent encore à en subir davantage sous l’effet de la modernité et l’essor technologique qui ne cessent de bouleverser notre vie en général et influer sur la vision de l’école portée par la société. Aujourd’hui, l’élève, suite à des réformes substantielles effectuées durant ces dernières décennies, jouit d’un statut enviable. Aussi est-il le bénéficiaire de tous les efforts fournis par l’Etat durant toute sa scolarité qui doit s’acheminer dans les meilleures conditions possibles. De là, tous les acteurs scolaires sont mobilisés pour le bien de l’élève.
Cependant, ce dernier ne semble pas être conscient de sa position ni de son importance, encore moins de son rôle à jouer en tant qu’un élément essentiel dans le processus scolaire. A ce propos, un prof d’arabe nous a confié : « J’ai l’impression que, malgré toutes les réformes jusque-là réalisées dans notre éducation, les élèves s’ennuient à l’école, ils paraissent stressés, indifférents et passifs ! Ils n’accordent aucun intérêt aux cours, leur concentration en classe ne dépassent pas un quart d’heure ; ils sont enclins au bavardage, à la paresse et même à la violence ! Ils viennent souvent sans livre ni cahiers et avec les devoirs non faits ! La plupart sont pourtant issus de familles aisées, donc ils n’ont pas de problèmes matériels ! Ils ont tout : l’argent de poche, le portable, les vêtements à la mode, et à la maison, ils ont tout le confort : une chambre à part, un ordinateur et des parents tolérants, pour ne pas dire trop permissifs ! »
De plus en plus de parents désertent aujourd’hui les écoles publiques et se tournent vers l’enseignement privé pour ces raisons diverses mentionnées plus-haut. L’école privée séduit de plus en plus en Tunisie. Plus de 20% des élèves tunisiens y suivent leur scolarité. La plupart des établissements (primaires et secondaires) sont submergés par les demandes d’inscription et sont parfois obligés de refuser du monde. Nous comptons aujourd’hui, selon les statistiques de 2022, 480 écoles privées (préparatoires et secondaires) et autour de 600 écoles primaires et préparatoires privées, réparties sur tout le territoire et agréées par l’Etat. Le nombre d’élèves inscrits dans les établissements éducatifs privés a considérablement augmenté, certains annonçant une hausse de 500% durant ces dix dernières années. Est-ce à dire qu’on est en train de s’acheminer progressivement vers la privatisation de l’enseignement en Tunisie ?
Hechmi KHALLADI