Par Raouf KHALSI

Les sinistres présagent sonnant le requiem de l’école publique, ça s’explique sans doute, mais cela ne se justifie pas. Sans doute, la dichotomie public/ privé, avec une montée fulgurante du second, est-elle à l’origine d’un monstrueux gâchis, faisant des nantis et des moins nantis, mais interpellant les consciences quant aux multiples tentatives occultes d’euthanasier l’école de la République.

Trop facile de dire que l’enseignement public, dans toutes ses gradations, a beaucoup perdu de son aura, ce qui fait que les ménages soient saignés à blanc à la recherche d’un niveau acceptable pour leurs chérubins. Et, là, on ne sait plus qui sont les nantis et qui le sont moins.

Dans les hautes sphères, on continue d’adopter cette formule bateau : « l’enseignement souffre de graves déséquilibres structurels ». Parce qu’au marasme structurel, s’ajoutent, depuis longtemps, une insidieuse fièvre revendicative.

La révolution aura autant libéré les corps de métiers de la soumission frustrée, que génère une espèce de purgation des passions, comme dirait Aristote.  Au final, qui, si ce n’est les apprenants, pour en payer les pots cassés ?

Les esprits nostalgiques en sont encore à fantasmer sur l’école à papa, dont l’architecte fut Mahmoud Messadi. On en est encore dans ce qu’on appelle le point limite-zéro.

Parce que, depuis, il n’y eut guère de véritable réforme de l’enseignement, alors que l’Occident des sciences broyait cyniquement les sciences humaines, tandis que sur le flanc opposé on glorifiait le refuge de la religion. En tous les cas, l’enseignement en Tunisie, socle fondateur de l’Etat moderne, s’accommodait de ses propres anachronismes. Même la réforme de Mohamed Charfi était jugée un peu trop révolutionnaire, parce que le système que voulait le régime Ben Ali était déjà projeté dans un enseignement sacrifié sur l’autel du mercantilisme et, donc, sur le privé. La société tunisienne s’en est retrouvée disloquée, sinon scindé en deux. Les parents friqués, et ceux qui ne le sont pas, cherchant quand même, désespérément à emboiter le pas aux premiers.

Aujourd’hui, le constat est implacable : l’illusion de la réussite avec des moyennes surréalistes, mais derrière ce monde factice, c’est la stérilisation des diplômes et des portes fermées dans le marché du travail.

Une première réponse à ce gâchis pourrait venir de la consultation sur l’Education. C’est à partir de la base qu’on finira par détecter les causes ayant fait que l’école publique soit clochardisée. Et, à partir du constat, à partir de l’audit, on établira les moyens pour ennoblir l’enseignement public. Tout en réfléchissant à sécuriser les enseignants, pour que, jamais plus les élèves ne soient pris en otage (la rétention des notes).

Mohamed Ali Boughdiri, habile et perspicace dans la récente sortie de crise, aura à arpenter de gros chantiers. Les plus difficiles de tous.

C’est aussi le pari sur la résurgence des nobles valeurs  de l’enseignement.