Selon un rapport établi par des experts près de l’observatoire tunisien de l’eau, la Tunisie perdrait énormément de ressources hydriques, chaque année, à cause de la mauvaise gouvernance de l’eau. Le rapport précise que cette mauvaise gouvernance est aussi responsable que les conditions météorologiques dans la pénurie d’eau. Le rapport ajoute que la Tunisie perd chaque année près de 30% de ses ressources hydriques dans les barrages à cause de l’évaporation et des mauvais choix dans la protection des barrages et des lacs collinaires. De même, la capacité de ces structures a été gravement amputée par le mauvais entretien et l’accumulation de boues et de débris qui s’entassent au fond des lacs. D’un autre côté, le rapport précise que la déperdition d’eau au niveau des réseaux d’irrigation se monte à 700 millions de m3 par an, de même que la vétusté des réseaux d’eau courante cause une déperdition de 120 millions de m3.
En effet, le véritable défi de l’eau en Tunisie ne réside pas dans le discours sur le stress hydrique même s’il se profile à l’horizon par l’effet naturel de l’accroissement des besoins et du réchauffement climatique. Il réside plutôt dans la gouvernance et la gestion de la demande de l’eau. D’ailleurs, depuis des années, Raoudha Gafrej, universitaire et experte en ressources hydriques a constamment révélé que « le problème de l’eau réside dans la mauvaise gouvernance du secteur de l’eau en Tunisie et dans le gaspillage de l’eau ». Ce gaspillage est généré, d’après elle, par la vétusté du réseau de la SONEDE qui est à l’origine de la perte de 30% du volume d’eau transféré, que ce soit au niveau du réseau de distribution de l’eau potable, des infrastructures d’irrigation publique ou des canaux de transfert de l’eau des barrages. Vient ensuite, l’utilisation excessive de l’eau dans l’irrigation agricole. Ces pertes viennent s’ajouter aux pertes générées par l’évaporation.
Il est important de préciser que l’activité agricole en Tunisie n’est pas adaptée ni au climat du pays ni à ses ressources hydrauliques. Selon certains experts, l’agriculture utilise 80% des ressources en eau et les agriculteurs n’hésitent pas à enfreindre la loi afin de pallier la pénurie d’eau. En effet, les nappes souterraines de la Tunisie subissent depuis longtemps une surexploitation due à un pompage excessif de l’eau, souvent supérieur aux besoins des cultures existantes. Ici, ce sont les forages dits illicites qui sont en cause car ils entrainent un rabattement excessif du niveau des nappes, ce qui impacte directement les forages gérés par la SONEDE pour l’alimentation en eau potable. Au fait, certaines unités de production des conserves de tomates dans la région du Cap Bon constituent un exemple illustrant l’exploitation excessive des ressources tunisiennes en eau. Bien que la région soit à dominante agricole et constitue un pilier économique en Tunisie grâce à sa production d’agrumes, quelques usines privilégient leurs propres intérêts financiers au détriment de l’environnement et du développement général de la région. De même pour le bassin minier, le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), cite l’exemple de la Compagnie des Phosphates de Gafsa qui a recours à d’énormes quantités d’eau pour maintenir et développer ses activités d’extraction et de lavage de phosphate, sans prendre en compte ni les ressources hydriques rares ni l’accès à l’eau potable surtout, note le forum.
Pour remédier à ces problèmes et réduire les pertes de ressources hydriques, il est essentiel d’améliorer la gouvernance de l’eau. Cela peut impliquer une planification stratégique. Élaborer et mettre en œuvre des plans stratégiques de gestion de l’eau qui tiennent compte des besoins actuels et futurs, en particulier face aux défis du changement climatique. Ainsi que des investissements dans les infrastructures. Moderniser et entretenir les infrastructures liées à l’eau pour réduire les fuites et les pertes lors de la distribution. Il faudrait également sensibiliser la population à l’importance de la conservation de l’eau et promouvoir des pratiques agricoles et industrielles plus efficaces. Et il faudrait surtout mettre en place des réglementations efficaces pour la gestion de l’eau et veiller à leur application. Et pourquoi pas collaborer avec d’autres pays pour une gestion durable des ressources en eau partagées, comme les bassins fluviaux transfrontaliers.
De toute façon, il est temps que l’Etat tunisien élabore une stratégie claire et efficace pour améliorer la disponibilité de l’eau et surtout privilégier l’usage domestique et potable dans l’allocation des ressources. La gestion efficace de l’eau est essentielle pour garantir la disponibilité à long terme de cette ressource précieuse, préserver l’environnement et répondre aux besoins en eau des populations et de l’agriculture. Une gouvernance de l’eau efficace est donc cruciale pour la Tunisie et d’autres régions du monde confrontées à des défis similaires.
Leila SELMI