Le débat sur la création d’un bac professionnel la langue est plus que jamais d’actualité et loin d’être tranché. Cette question entre dans une étape décisive avec la consultation sur les réformes de l’enseignement. Le ministre de l’éducation Mohamed Ali Boughdiri a suggéré dans une déclaration à une radio privée l’éventuelle création d’un bac professionnel qui pourra apporter des solutions aux dysfonctionnements qui tirent vers le bas le système de l’éducation et adapter la formation aux besoins du marché du travail.. Les explications de Ridha Zahrouni président de l’Association tunisienne des parents et des élèves (ATUPE).
Le temps.news : Ne pensez-vous que l’enseignement professionnel n’est pas assez reconnu. Qu’en pensez-vous ?
Ridha Zahrouni : Il faut rappeler qu’avant la réforme de 1991, la phase de l’enseignement primaire se clôturait par un examen qu’on appelait le sixième, comme c’est le cas aujourd’hui, à la seule différence que c’était un examen obligatoire. Ceux qui réussissent, et en fonction de leurs âges et leurs niveaux, ils ont la possibilité soit de suivre la filière longue, de la première à la septième année, ou la terminale, avant de passer leur baccalauréat dans la section qu’ils avaient choisi, y compris un bac technique, soit suivre une formation professionnelle, dans la maçonnerie, la menuiserie, l’électricité etc. et parmi ceux qui ont suivi cette formation, beaucoup sont encore en activité et gagne bien leur vie.
Après la réforme de 1991, la formation professionnelle est devenue comme une sorte de voie de garage pour ceux qui échouent dans leur scolarité, des décrocheurs dans leur majorité. Ils quittaient l’éducation nationale, et un nombre limité d’entre eux rejoignaient des centres de formation professionnelle publics ou privés, ces derniers sont généralement payants. Les intéressés, avec leurs familles, ont le sentiment d’être dénigrés et mal considérés sur tous les plans. Et ils ont tout à fait raison eu égard à la ruée vers les spécialités considérées comme nobles, mêmes par certains responsables, et mieux rémunérées.
Le ministre de l’éducation a suggéré la mise en place d’un bac professionnel lors de la consultation sur les réformes de l’enseignement ? Pourquoi ?
Aujourd’hui on a besoin de plus en plus de cursus de formation bien ciblés et relativement courts, mieux considérés et répondant à la fois au souci des jeunes de trouver un travail qui leur convient le plutôt possible et aux besoins du pays en spécialités et niveaux de formation pour impulser le développement du pays dans tous les domaines. Les formations longues et très pointues, on en a toujours besoin, mais elles restent très coûteuses en temps et en argent, qu’il faudrait parfaitement maîtriser la gestion.
En l’état actuel de notre système éducatif, nous avons des dizaines de milliers de jeunes qu’on expulse chaque année hors des enceintes de nos écoles, privés de tous leurs droits pour affronter tous les aléas et les risques de la vie. Il faut impérativement arrêter cette hémorragie en toute urgence. Notre ministre a parfaitement raison quand il propose un bac professionnel, on aurait dû agir dans ce cas depuis longtemps, mais vaut mieux tard que jamais.
Ce bac vise-t-il à améliorer la synergie entre l’enseignement secondaire et le marché du travail ?
C’est l’une des conditions nécessaires pour faire aboutir ce projet. J’irais encore plus loin en appelant à impliquer les professionnels, les artisans et tous les organismes concernés dans l’établissement des termes de référence du bac professionnel et également dans la mise en œuvre des formations à convenir. Il faut faire les bonnes analyses et les meilleures projections dans le temps et dans l’espace pour qu’on soit sûr que chacune des parties impliquées trouve son compte.
Vous savez, de mon point de vue, il faut envisager des cursus de formation, en tenant compte même des besoins en spécialités par région, car chaque région a certainement ses spécificités, ses traditions et ses activités dominantes, et en tenant compte également de l’évolution des besoins d’embauche, même en dehors de nos frontières.
Ce bac professionnel pourrait-il permettre aux jeunes, qui le souhaitent, d’accéder à un diplôme supérieur (post Bac+2) et de leur offrir de plus grandes chances d’intégrer des cycles supérieurs (Master, doctorat) ?
Le bac professionnel devrait devenir un label de réussite pour nos jeunes en leur garantissant l’obtention d’un ou plusieurs diplômes de référence. Une formation qui ouvre la voie pour entrer dans la vie active, et permet en même temps à ceux qui le souhaitent de continuer le plus loin possible leurs études supérieures.
Les offres de formation doivent couvrir toutes les activités courantes : tourisme et artisanat, agriculture, énergies renouvelables, technologies de pointe, métiers d’art et du spectacle, gestion commerciale, menuiserie, couture, bâtiment, électrotechnique, électronique, mécanique…
Des formations qui donnent accès à d’autres perspectives de perfectionnement et de reconversion, en proposant des passerelles entre les filières, l’objectif étant d’offrir une réelle liberté d’action et de choix pour les candidats.
Faut-il encourager les partenariats notamment avec l’entreprise pour lutter contre le décrochage scolaire et accompagner l’élève vers l’emploi ?
Personnellement, j’ai toujours cru à l’intérêt d’un partenariat public privé dans tous les domaines. Les entreprises spécialisées dans la production des biens et des services semblent être bien outillées pour devenir de vrais partenaires dans la mise en œuvre des politiques et des stratégies visant le développement d’un cursus de la formation professionnelle comme axe d’enseignement et de formation.
Ces entreprises sont des acteurs qu’on peut trouver tout au long de la chaîne de formation, au niveau de l’élaboration des besoins et des programmes de formation, dans l’administration et la prise en charge de certaines composantes de la formation, et par la suite lors de l’embauche et de l’emploi, une fois la formation achevée. Il ne faut pas non plus oublier le rôle que peuvent jouer les autorités, locales et régionales et les districts, nouvellement créés, dans ce cadre.
Les entreprises peuvent intervenir pour s’assurer de l’adaptation des compétences à leurs besoins en poste de travail, pour le maintien de l’employabilité des compétences recrutées, pour leur développement pour élargir leurs champs d’intervention et également pour assurer leur reconversion en cas de besoin.
La formation professionnelle doit-elle procéder à une adaptation continue pour suivre les grandes mutations, notamment les transformations technologiques facilitant l’assimilation et l’acquisition du savoir-faire et tout en garantissant un environnement d’apprentissage proche de la réalité de l’entreprise ?
Les compétences doivent être l’un des soucis majeurs de nos politiques en matière d’éducation et de formation. Dans son état actuel, la réalité de notre système éducatif est devenue inquiétante, notamment après la pandémie du covid. Ce qui exige de notre gouvernement la mise en œuvre de tous les moyens pour assoir des cursus de formation professionnelle qui visent le développement de nos besoins en compétences, la promotion de l’apprentissage tout au long de la vie, le soutien de la compétitivité de nos entreprises et de notre modèle économique, la réponse et la résilience de nos compétences aux défis, chocs et aux aléas à venir. Des formations qui doivent anticiper les éventuelles tendances et mutations novatrices et transformatrices notamment celles qui portent sur les technologies de pointe ou sur les énergies vertes.
Faut-il généraliser l’apprentissage professionnel même dans le primaire ?
De mon point de vue, il ne faut surtout pas parler aux élèves de la phase primaire de formation professionnelle. Cette phase doit servir essentiellement à améliorer chez nos enfants, leurs capacités de lecture, d’écriture, de calcul et de respect. Nos enfants doivent se concentrer sur la compréhension de ce qu’ils sont et ce qu’ils sont en train de faire en découvrant progressivement les vrais sens de la vie. Il faut instamment éviter de leur bourrer les esprits avec des concepts absurdes et qui ne sont pas de leurs âges.
La formation professionnelle ne réussit jamais si on continue à produire 100 milles décrocheurs chaque année qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter. Il ne faut pas croire que ces jeunes peuvent réussir des formations aussi basiques soient-elles, alors qu’on devrait savoir que l’emploi des technologies et du numérique est devenu nécessaire dans tous les métiers, ce qui exige un niveau d’instruction parfaitement approprié. Un défi majeur à relever par nos responsables aujourd’hui est celui de réduire à des seuils universellement acceptables, les taux d’illettrisme et d’analphabétisme.
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA