Pourquoi certaines affaires traînent-elles jusqu’à présent devant les tribunaux ? S’agit-il d’un manque de célérité dû à une hésitation de la part des juges à trancher dans un sens ou dans un autre, ou tout simplement à cause du manque de certains éléments destinés à parfaire l’intime conviction du juge ?
La célérité ou le retard dans les jugements des affaires pendantes devant les tribunaux peuvent être influencés par divers facteurs. Ces facteurs peuvent varier d’un système judiciaire à l’autre. Les tribunaux confrontés à une charge de travail importante, avec un grand nombre d’affaires à traiter, peuvent connaître des retards. La capacité du système judiciaire à gérer efficacement le volume des affaires peut influencer la rapidité des jugements. Des affaires complexes nécessitent souvent plus de temps pour être examinées de manière approfondie.
Les litiges qui impliquent des questions légales complexes, des preuves étendues ou des parties multiples peuvent entraîner des délais. Toutefois il y a également la politique judiciaire avec un budget limité qui fait que certaines affaires traînent à cause du manque de personnel. Cela outre les réformes législatives ou judiciaires qui peuvent également influencer le temps nécessaire pour résoudre une affaire. Ces réformes peuvent viser à accélérer les procédures ou, à l’inverse, à introduire de nouvelles étapes qui prolongent le processus. A côté de cela, il y a la conjoncture politique qui a son importance sur le cours des affaires judiciaires.
Plusieurs facteurs derrière le retard dans la déclaration des jugements
Surtout en cas d’ascendant de l’exécutif sur le judiciaire, comme ce fut le cas au cours de l’ancien régime. Durant la dernière décennie, certains juges ont été entraînés dans des tiraillements politiques. Ce qui a affecté tant soit peu leur intime conviction et par là-même leur indépendance. Aujourd’hui ils sont échaudés à cause du chamboulement qu’il y a eu dans le secteur judiciaire avec notamment la dissolution du conseil supérieur de la magistrature et son remplacement par un conseil provisoire. Ils sont également plus ou moins choqués, après l’implication de certains parmi eux dans diverses malversations. En effet, certaines affaires telles que celles relatives aux assassinats des deux martyrs, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ont été examinées entre autres par des juges qui, selon le comité de défense des martyrs « ont tout fait pour occulter des preuves en allant jusqu’à retirer des documents importants des dossiers. Ces affaires traînent encore mais pas pour le même motif, maintenant que les abus de certains magistrats ont été découverts. Le président de la République Kaïs Saïed a tant de fois rabâché, qu’il faut que ces affaires soient tranchées au plus vite, car elles ont trop traîné dans les casiers de la justice. Sa dernière rencontre à ce sujet avec la ministre de la justice Leila Jaffel, date du lundi dernier. Il a attiré l’attention de la ministre sur « la nécessité de trancher dans un délai raisonnable de nombreuses affaires judiciaires qui traînent depuis plus d’une décennie sous de faux prétextes ». Il a justement cité à titre d’exemple, les affaires des assassinats des deux martyrs ainsi que celles « liées à l’assassinat de plusieurs de nos valeureux soldats en juillet 2013 ou à un certain nombre d’autres crimes qui n’ont atteint le stade de l’appel qu’après dix ans et qui pourraient rempiler pour dix ans supplémentaires en cas de cassation et de nouveau renvoi devant la cour d’appel ».
En dehors de la question procédurale
Certes ces affaires ont particulièrement traîné, hormis des questions procédurales, à cause de la mise des bâtons dans les roues par certaines parties afin de brouiller les pistes et d’entraver la bonne marche de l’enquête. C’est le cas de l’affaire des assassinats de 8 militaires au mont Chaambi, en 2013, et dans laquelle ont été impliqués 77 accusés, dont Abou Yadh, qui sera libéré et aidé à s’enfuir notamment par un ex-ministre de l’intérieur à l’époque, qui l’a reconnu lui-même en avouant qu’il l’avait fait pour éviter un bain de sang. Il y avait parmi les accusés également un certain Abou Bakr El Hakim, impliqué aussi dans les assassinats des deux martyrs. Cependant, on ne peut pas parvenir à la découverte de la vérité avec une justice expéditive. Les degrés de juridiction ont été créés dans ce but, car il n’y a jamais de jugement qui reflètent la vérité de manière irréfutable. L’idéal dans tout système judiciaire est que les jugements des tribunaux soient justes, impartiaux et basés sur les lois et les faits pertinents. Cependant, il est important de reconnaître que, dans la réalité, la justice peut être complexe et que des erreurs peuvent parfois se produire. L’impartialité des juges est cruciale pour assurer des jugements justes. Les magistrats doivent être indépendants, équitables et exempts de tout préjugé. C’est pour toutes ces raisons qu’il y a des degrés de juridiction. C’est pour vérifier entre autres la qualité des preuves devant être présentées devant le tribunal. Si des preuves sont insuffisantes, biaisées ou obtenues illégalement, cela peut compromettre la justice du jugement. C’est le cas par exemple dans les affaires des assassinats des deux martyrs et c’est ce qui explique qu’elles traînent encore jusqu’à présent.
Intime conviction entachée et risque d’erreur judiciaire
Les mécanismes d’appel et de révision permettent de corriger les erreurs éventuelles. La possibilité de faire appel d’une décision, contribue à renforcer la confiance dans le système judiciaire. Le chef de l’Etat a affirmé que le peuple tunisien a le droit de connaître la vérité et de demander des comptes à tous ceux qui ont commis des crimes à son encontre.
C’est un fait mais cela ne peut se réaliser qu’avec une justice indépendante. L’indépendance judiciaire est une pierre angulaire des systèmes judiciaires démocratiques et elle garantit que les juges peuvent rendre des décisions basées sur le droit et la justice, sans crainte de représailles ou d’ingérences. Le fait pour un juge d’avoir un avis entaché de partialité, en se rangeant du côté d’une partie au détriment de l’autre ne peut aucunement contribuer à la découverte de la vérité. La justice est un long combat contre tous les tiraillements afin de parvenir à regagner le chemin de la liberté. C’est justement en fonction de sa liberté que le juge peut s’affirmer par son intégrité et son impartialité, chaque fois qu’il est appelé à trancher un litige. Et c’est pour cela qu’on dit d’un tel juge qu’il rend la justice.
Ahmed NEMLAGHI