L’accident de l’effondrement d’une partie de la muraille de la vieille ville à Kairouan, un rempart historique, samedi dernier, ne cesse pas de susciter des réactions et des constats qui ne manqueront pas d’éclairer la lanterne des citoyens pour parvenir à délimiter les responsabilités et à révéler les véritables coupables, selon les résultats de l’enquête, d’autant plus que ce drame a coûté la vie à trois personnes sans compter les blessés.
Comment cet effondrement a eu lieu ? Quelles en sont les causes ? Y a-t-il eu des défaillances et des erreurs humaines derrière ce qui s’est passé ?
Pour le moment, nous ne pouvons qu’attendre les résultats, du moins les premières conclusions de l’enquête qui vient d’être ouverte par les départements concernés, à commencer par le ministère des Affaires culturelles qui a déjà annoncé la couleur.
Il y a lieu de noter que les trois victimes sont des ouvriers qui travaillaient, au sein d’une entreprise privée, sur la réhabilitation de la muraille. Une muraille qui, rappelons-le, s’était effondrée en 2018 sans faire de victimes.
Selon des sources locales, ce drame était, pourtant, évitable. Car, si on pourrait se fier au témoignage d’un citoyen présent sur les lieux juste après l’effondrement, il n’a pas manqué de rappeler qu’il avait alerté les autorités locales vers la fin du mois de novembre. De passage près de la muraille, il a constaté, selon ses dires, « des défaillances sur le chantier de réhabilitation dont il a informé les concernés. Pourtant, rien n’a été fait, de toute apparence ». Selon la même version, « les ouvriers du chantier tentaient de consolider la muraille en usant de procédés non-conformes aux normes de réhabilitation des monuments historiques. C’est à coup de briques et de ciment que les ouvriers opéraient tant bien que mal une intervention des plus pointues qui exige expertise et savoir-faire ».
L’enquête va sûrement prendre en considération ce témoignage qui reste à confirmer.
Rappelons que les ouvriers en question sont ceux d’une société privée qui, selon la ministre des Affaires culturelles, a remporté l’appel d’offres émis par l’État conformément à la règlementation des marchés publics. Une règlementation qui, rappelons-le, accorde la réalisation des projets sur un critère différenciant de taille ; le coût. C’est, en effet, le moins-disant qui l’emporte et pas celui qui présente les meilleures garanties.
Le jeu maudit des appels d’offres
En Tunisie, comme partout dans le monde, le domaine des marchés publics, universellement connu pour sa forte vulnérabilité à la fraude et la corruption, exige une vigilance accrue et une réglementation sévère. En Tunisie, ce domaine a pu finalement s’armer d’un outil redoutable permettant d’enrayer le fléau de la corruption qui y sévit. Il s’agit de la plateforme électronique des marchés publics Tuneps. Son usage obligatoire par les ministères et les entreprises publiques, pour l’octroi des marchés publics, a été décrété au mois de septembre 2018 avant de voir cette structure entrer en action quelques mois après.
Comment cette plateforme fonctionne-t-elle ? Comment contribue-t-elle à la prévention contre la corruption dans les marchés publics ? Selon les hauts responsables de Tuneps, deux principaux objectifs ont été assignés à la plateforme au moment de sa conception, à savoir minimiser l’intervention humaine et promouvoir la participation des PME tunisiennes dans les marchés publics, impliquant de facto le renforcement de la transparence, l’intégrité et l’égalité des chances. Sur le papier, le système informatique d’interconnexion assurant un échange des données entre les diverses institutions intervenantes, à savoir le centre informatique du ministère des Finances, la Caisse de sécurité sociale (Cnss), la Banque centrale (BCT), les banques commerciales, le ministère de l’Equipement (étant partie prenante dans les projets de construction) et l’Agence nationale de certification électronique (Ance), permet à la plateforme électronique Tuneps permet tant aux acheteurs publics qu’aux PME postulant aux appels d’offres de s’affranchir des documents administratifs matériels. Elle a fait savoir que grâce au système de notification automatique des candidatures, les fournisseurs sont informés en permanence en temps réel de l’état d’avancement de l’appel d’offres, ouvrant ainsi la voie à la concurrence loyale entre les diverses PME.
La réalité est autre…
Tout ceci est beau à savoir et à rappeler. Or, sur le terrain, cette structure ne peut pas tout faire, surtout concernant le contrôle et le suivi qui sont assurés par des « experts » capables de constater et de relever les défaillances et les graves dérives en matière de construction et des normes sécuritaires. Avec ce qui se passe dans notre pays où les bâtiments et les routes révèlent régulièrement des anomalies plus ou moins dangereuses, on peut avancer, sans risque de nous tromper, que la corruption est bel et bien présente aussi bien dans les commissions chargées de gérer les appels d’offres publics et privés que dans les chantiers où la responsabilité est partagée entre les patrons et les conducteurs des travaux.
En attendant les résultats définitifs de l’enquête, nous rappelons seulement que de telles affaires sont traitées avec une extrême légèreté. A titre d’exemple, quatre mandats de dépôt ont été émis, au profit du ministère de l’Agriculture, contre un ancien ministre de l’Agriculture, le chargé de la gouvernance au sein du ministère, le président de la commission d’évaluation et le gérant de la société soumissionnaire. La transaction en question est d’une valeur de plus de 800 mille dinars. Les investigations ont duré quelque temps avant de voir cette affaire rentrer, paisiblement, dans les rangs puisque l’opinion publique n’a rien pu savoir sur ses suites et sur le verdict final.
C’est dire que ce mal se propage à divers niveaux et que l’Etat est appelé à faire preuve de plus de fermeté et de sérieux pour éviter de tels drames dans l’avenir.
Kamel ZAIEM