La récupération des fonds spoliés et déposés dans des banques étrangères est-elle pour bientôt ? On est tenté de répondre par l’affirmative, après les dernières déclarations du chef de la diplomatie tunisienne Nabil Ammar qui a été reçu récemment à Berne pour évoquer l’accord migratoire et le besoin, urgent pour le pays, de récupérer les 60 millions d’avoirs de l’ancien clan de feu Ben Ali toujours bloqués en Suisse. Il a mis en exergue avec la Conseillère fédérale helvétique de Justice et Police, Elisabeth Baume-Schneider, que le souci des autorités tunisiennes de récupérer ces fonds est une question de principe s’inscrivant dans la perspective de faire respecter les valeurs de l’Etat de droit et de la lutte contre la contrebande et les transferts illégaux. Pour lui, ce dossier a un caractère politique et ne peut être réduit à des procédures juridiques et judiciaires ».
Toutefois, la récupération des fonds spoliés par la Tunisie en Suisse, est souvent un processus complexe et implique la coopération entre les autorités tunisiennes et le pays où les fonds ont été placés. Ce qui est le cas selon ce qu’affirme le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar. Mais est-ce que les banques dans lesquelles se trouvent ces fonds vont coopérer ?
Les banques vont-elles coopérer ?
C’est là la question car certaines banques ont même levé le gel des avoirs spoliés et ce, depuis janvier 2021. Les autorités suisses avaient à un moment donné invité la Tunisie à accélérer le processus judiciaire relatif aux fonds, objets du litige et à rendre des jugements “exécutoires” permettant de récupérer ces fonds. Le gouvernement suisse avait ordonné à titre préventif, le gel de tous les avoirs en Suisse de l’ancien président déchu et de son entourage. Cependant avec la levée du gel on ne sait pas si le gouvernement tunisien avait interjeté appel ou pas de cette décision. L’appel de la décision de levée du gel doit être fondé sur des conditions « légales » pour la justice française et en général la justice de l’Union européenne, y compris, par exemple, le prononcé d’un jugement pénal qui réponde à tous les degrés et stades du procès condamnant la personne dont les fonds sont gelés, pour des faits de blanchiment d’argent et d’appartenance à un réseau « international » de trafic de stupéfiants et d’autres délits transfrontaliers graves. Les filles du défunt président, Nesrine et Halima, avaient fait depuis 2016 opposition à la décision des autorités françaises de geler des fonds et avoirs déposés dans des banques françaises et deux biens immobiliers, et l’appel a continué à être examiné jusqu’au début de cette année, la date du prononcé de la décision initiale en leur faveur. En suisse, personne ne sait si les fonds sont encore gelés et en tous les cas on ne connaît pas le montant exact des fonds qui pourraient être récupérés. D’après une déclaration du ministre des Affaires étrangères à un journal suisse rapportée par Mosaïque FM : « le total des fonds gelés en Suisse dépasse les 60 millions de francs et seulement moins de 10% ont été récupérés ». Ajoutant « qu’il est dans l’intérêt des deux parties de travailler ensemble pour faire avancer ce dossier ».
Identification des fonds et procédures obligatoires
S’il y a accord politique entre la Tunisie et la Suisse pour la récupération des fonds spoliés, il n’en reste pas moins que cela doit répondre à des procédures précises à savoir : l’identification avec précision des fonds qui ont été spoliés et la localisation de leur emplacement, en l’occurrence, les banques suisses. La demande de récupération des fonds doit inclure des informations sur les fonds spoliés, des preuves de la spoliation et des demandes de coopération. Une procédure judiciaire peut être engagée pour statuer sur la légalité de la confiscation des fonds. Si les autorités suisses déterminent que les fonds ont été spoliés de manière illégale, ceux-ci peuvent être restitués à la Tunisie. Cela peut se faire à travers des procédures juridiques spécifiques et en conformité avec les lois nationales et internationales. La coopération peut être facilitée par les accords bilatéraux ou les conventions internationales qui régissent la restitution des biens mal acquis. Ces accords fournissent souvent un cadre juridique pour la coopération en matière d’extradition et de restitution des avoirs.
Est-ce à dire que la récupération des fonds est imminente ?
Ce n’est pas si facile qu’on ne le pense et le ministre des Affaires étrangères a beau dire qu’il ne peut être réduit à des procédures juridiques, il n’en reste pas moins que la restitution des fonds spoliés ne peut être envisagée qu’à travers des procédures légales. Cela dépend de divers facteurs, y compris les preuves disponibles, la coopération des autorités tunisiennes et la conformité avec le cadre juridique suisse. La restitution des fonds doit être conforme aux lois suisses. Les tribunaux suisses peuvent ordonner la restitution des fonds s’ils concluent que ces fonds ont été acquis illégalement. Le succès de la restitution dépend de divers facteurs, y compris la solidité des preuves, la coopération entre les autorités et la conformité avec les lois suisses. La collaboration internationale, la transparence et le respect des procédures légales sont essentiels dans de tels cas.
Durant toute cette dernière décennie, beaucoup de temps a été perdu dans les tergiversations, peut-être à dessein de la part de certains qui avaient intérêt à ce que la situation de black-out perdure Entre temps plusieurs banques ont promis à la Tunisie la restitution des fonds spoliés, mais c’était des promesses de Gascon. Pourvu, comme l’a affirmé le ministre des Affaires étrangères, que le caractère politique l’emporte sur les procédures judiciaires, avec une volonté de part et d’autre entre les deux États tunisien et suisse, de rapatrier les fonds spoliés. Le judiciaire sera ainsi au service de l’équité. Quoi de plus équitable, en effet, que de restituer les biens du peuple ?
Ahmed NEMLAGHI