Le phénomène de l’exode des ingénieurs tunisiens ne se limite pas à un simple choix de quitter son pays d’origine. Bien plus qu’une préférence personnelle, cette réalité résulte parfois de conditions qui ne correspondent pas aux compétences acquises ni aux années d’études investies. Pour certains ingénieurs, partir à l’étranger devient non seulement une option, mais une nécessité dictée par le désir de dénicher des opportunités plus propices, un salaire plus attractif, et des conditions de vie optimales tant pour eux-mêmes que pour leurs familles.
Kamel Sahnoun, doyen des ingénieurs tunisiens, a indiqué, dans une déclaration accordée à Mosaïque FM le 19 février, que le nombre d’ingénieurs diplômés chaque année des universités tunisiennes s’élève à environ 8500. En revanche, environ 6500 ingénieurs partent chaque année à l’étranger après avoir acquis de l’expérience et maîtrisé leur profession.
Selon Sahnoun, l’ingénieur tunisien jouit de compétences et d’une formation de qualité, ainsi que d’une rapidité d’intégration, ce qui suscite l’intérêt de pays d’Afrique, d’Europe, d’Australie et du Golfe arabe qui cherchent à attirer ces ingénieurs en leur offrant toutes les conditions propices. « L’État dépense 100 mille dinars pour chaque ingénieur, ce qui signifie une perte annuelle de 650 mille dinars lorsque ces ingénieurs quittent le pays. Cette somme équivaut à la construction d’un hôpital universitaire, d’une faculté, ou d’un aéroport. »
Il a ajouté : « Lorsqu’un ingénieur diplômé entre dans la vie professionnelle, il ne bénéficie pas de la reconnaissance nécessaire, se retrouvant confronté à des difficultés professionnelles et matérielles. C’est pourquoi nous constatons aujourd’hui la perte d’environ 18 ingénieurs par jour qui quittent le pays sans être remplacés ultérieurement. »
Selon l’OCDE, la Tunisie était classée en 2020 au deuxième rang des pays arabes en matière de fuite des cerveaux, après la Syrie. Environ 8 200 cadres supérieurs, 2 300 ingénieurs, 2 300 enseignants-chercheurs, 1 000 médecins et pharmaciens, et 450 informaticiens ont quitté le pays en 2018, d’après l’Office des Tunisiens à l’étranger.
Selon une étude menée par l’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge), les départs des « talents » sont motivés par les mauvaises conditions de vie en Tunisie, les personnes concernées citant parmi les raisons les ayant poussées au départ la corruption, l’avenir incertain, le climat liberticide, la bureaucratie, l’instabilité politique et les meilleures opportunités professionnelles et financières à l’étranger (un salaire souvent multiplié par six ou sept), lit-on dans l’article « En Tunisie, l’enjeu de la fuite des cerveaux ».
Dans le secteur informatique, tout particulièrement, la fuite des cerveaux ne cesse de s’intensifier, ce qui impacte lourdement les entreprises tunisiennes, qui rencontrent de nombreuses difficultés tant pour recruter des candidats que pour les retenir, selon la même source.
Ghada DHAOUADI