Le métier d’ingénieur vit de grandes transformations grâce à la fulgurance des nouvelles technologies, leur ouverture et l’hétérogénéité des systèmes. Les enjeux sociétaux changent aussi la profession : les impératifs de la RSE et de la transition écologique façonnent les nouveaux contours du métier d’ingénieur. C’est dans ce cadre que l’ATUGE organise une conférence-débat pour présenter le Livre Blanc sur le système de formation d’ingénieurs en Tunisie ce samedi 15 février 2025 à l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises. Cette vision est le fruit d’une réflexion approfondie, pilotée par le ministère de l’Enseignement Supérieur, avec divers acteurs du secteur éducatif, industriel et gouvernemental. Ce livre se veut une feuille de route pour moderniser et renforcer la formation d’ingénieurs en Tunisie comme en témoigne Naceur Ammar, ingénieur X-Mines, Phd, ancien directeur de Sup’COM, Ancien ministre, Chairman of the Advisory Board of Pristini School of AI,et expert international auprès de la commission des titres d’ingénieur,
Le Temps.news : La révolution technologique en cours va-t-elle transformer le métier d’ingénieur ?
Naceur Ammar : la révolution technologique en cours est en train de transformer profondément le métier de l’ingénieur. Plusieurs tendances clés sont à mettre en avant . En effet, les ingénieurs doivent faire face à des problèmes de plus en plus interconnectés, nécessitant une approche systémique et interdisciplinaire. Les nouvelles technologies comme l’IA, l’IoT, la robotique, les biotechnologies et les nanotechnologies vont redéfinir les pratiques en ingénierie. L’ingénieur du futur devra intégrer des considérations éthiques et durables dans ses projets. L’essor des outils numériques, du cloud computing et de l’ingénierie assistée par l’IA modifie la manière dont les ingénieurs travaillent, rendant certaines tâches plus analytiques et stratégiques.Ainsi, le métier d’ingénieur évolue vers une posture plus transversale, impliquant davantage d’interdisciplinarité, d’innovation et de responsabilité sociale.
Quels sont les métiers de l’ingénierie du futur ?
Plusieurs domaines émergents dans l’ingénierie sont déjà identifiés : L’ingénierie de l’IA et des données ( Développement d’algorithmes d’apprentissage automatique, maintenance des infrastructures IA, gestion des données massives) l’ingénierie des énergies renouvelables : (Optimisation des réseaux électriques intelligents (smart grids), développement des technologies de stockage d’énergie), la cybersécurité et l’ingénierie des systèmes critiques (Protection des infrastructures numériques critiques contre les cyberattaques), l’ingénierie des matériaux avancés et des nanotechnologies (Développement de nouveaux matériaux intelligents et biocompatibles), la robotique et l’automatisation (Conception et maintenance de systèmes automatisés pour l’industrie 4.0.) l’ingénierie durable et environnementale ( Optimisation des ressources, éco-conception et gestion des infrastructures résilientes face au changement climatique) et la bio-ingénierie et le génie biomédical (Développement de solutions innovantes en médecine et biotechnologie).Ces métiers exigent une combinaison de compétences techniques et de compréhension des enjeux globaux (éthique, durabilité, inclusion).
Quelles sont les compétences attendues ?
Les ingénieurs du futur devront acquérir une palette de compétences élargie, incluant des compétences techniques. Derrière la formation d’ingénieur se cache une grande diversité de métiers. Leur dénominateur commun ? Une capacité à résoudre des problèmes techniques souvent complexes grâce à des compétences scientifiques et également des qualités essentielles pour réaliser leurs missions. L’ingénieur est appelé à maitriser les technologies émergentes : IA, IoT, blockchain, simulation numérique, fabrication additive (impression 3D) et les compétences en ingénierie des systèmes c’est-à-dire la capacité à concevoir et optimiser des systèmes complexes et interconnectés.
Il doit avoir une vision dans le domaine de cyber sécurité et gestion des risques technologiques et une approche interdisciplinaire pour comprendre l’interaction entre différentes disciplines. L’ingénieur doit également montrer un intérêt très marqué pour la gestion du projet et savoir coordonner des équipes multidisciplinaires et mener des projets innovants car participer à des projets d’envergure mondiale implique souvent de travailler avec des équipes venues d’horizons et de cultures différents, ou avec des fournisseurs, prestataires, clients évoluant dans des pays variés. Il doit intégrer les enjeux de développement durable et des réglementations en matière d’ingénierie responsable. Les qualités humaines ou soft skills sont très recherchées. Rigueur, organisation, créativité et innovation sont des qualités essentielles pour un ingénieur afin de garantir la fiabilité des solutions proposées, résoudre des problèmes complexes et prendre des décisions adaptées.
Quels sont les défis de la profession ?
Le métier d’ingénieur doit relever plusieurs défis majeurs : une adaptation à un monde en mutation rapide. L’accélération de l’innovation technologique exige une mise à jour constante des compétences. La digitalisation et l’automatisation redéfinissent les rôles traditionnels des ingénieurs. La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique imposent une refonte des pratiques en ingénierie (éco-conception, recyclabilité, réduction de l’empreinte carbone). L’adoption de matériaux durables et la gestion des ressources naturelles deviennent primordiales.
L’essor de l’économie circulaire et des plateformes numériques impacte les métiers de l’ingénierie. Le modèle d’ingénieur-salarié cède de plus en plus la place à des ingénieurs-entrepreneurs, indépendants ou intrapreneurs. L’ingénieur doit maîtriser l’interconnexion des systèmes pour éviter les défaillances systémiques. Les questions de cybersécurité et de souveraineté technologique deviennent cruciales. L’harmonisation des diplômes et des compétences est en cours, mais les disparités persistent entre les pays. Certains pays imposent des certifications spécifiques (ex : Ordres d’ingénieurs au Canada, en Corée du Sud, mais pas en France).
Les établissements doivent évoluer vers des modèles plus flexibles, favorisant l’apprentissage tout au long de la vie. L’alternance, les certifications complémentaires et les micro-crédits deviennent essentiels pour assurer l’employabilité des ingénieurs. Le métier d’ingénieur est en pleine transformation sous l’effet des révolutions technologique, numérique et environnementale. La formation en ingénierie doit donc évoluer pour intégrer des compétences plus transversales, une plus grande flexibilité et une approche interdisciplinaire. L’innovation, la formation continue et l’adaptabilité seront les clés du succès pour les ingénieurs du futur.
Interview par Kamel BOUAOUINA