La fréquentation touristique en Tunisie a retrouvé des couleurs, malgré l’inflation. Depuis le début de l’année, les professionnels du secteur prévoient une saison 2024 un peu meilleure qu’en 2023 qui était déjà un bon cru, malgré une flambée des tarifs hôteliers qui ont renchéri le coût des vacances. Décryptage avec Ahmed Bettaieb, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages et de tourisme (FTAV).
Le Temps.news : Comment s’annonce la saison estivale ?
Ahmed Bettaieb : Les premiers signes de reprise du tourisme ont été enregistrés au cours de cette saison, les réservations ayant augmenté jusque-là de 6 à 15% par rapport à 2019, année de référence avant la chute provoquée par la pandémie de covid. La destination tunisienne a retrouvé son attractivité grâce aux efforts déployés par toutes les parties concernées, s’attendant à ce que le nombre de nuitées dans les unités hôtelières en Tunisie augmente à des taux compris entre 20 et 30%. Le nombre de touristes en provenance des marchés européens traditionnels (Allemagne, France et Angleterre) est revenu au niveau de 2019 et progresse à 20%, tandis que deux nouveaux marchés, l’Arménie et la Serbie ont émergé malgré le problème de visa. Le marché maghrébin carbure à merveilles.
Nos professionnels sont-ils prêts pour préserver cette tendance ?
Si le vent semble tourner en faveur de la Tunisie, encore faut-il être prêt et à la hauteur des exigences. Il faut se préparer à l’effet reprise pour éviter le retour de boomerang. Nous avons plusieurs défis à relever malgré la suppression du privilège fiscal. Les problèmes comprennent le manque de bus à 29 places et la difficulté d’obtenir des licences pour renouveler la flotte de transport, le manque de main-d’œuvre qualifiée dans plusieurs spécialités touristiques nécessaire pour améliorer la qualité des services. Des mesures exceptionnelles seront prises afin d’éviter tout dysfonctionnement qui entraverait le travail des agences de voyages tunisiennes et les empêcherait de répondre à la forte demande, notamment pendant la haute saison touristique.
L’organisation des JO à Paris à l’été 2024 bouscule-t-elle l’offre et l’afflux des touristes étrangers en Tunisie ?
Cet été va être particulier pour de nombreux Français en raison de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris du 26 juillet au 11 août et du 28 août au 8 septembre. Selon les statistiques, seuls 4 % des Français assisteront aux épreuves des JO de Paris 2024 sur place. Près de la moitié… prendront la poudre d’escampette en vacances et ne se laissent pas guider par les JO. En dépit de cet événement, l’été 2024 sera plus florissant en termes de départs des français en vacances qui sont habitués à prendre leurs congés en juillet et août. Nous risquons d’avoir un grand rush des français en juillet voire même un surbooking qui nous guette à chaque saison estivale. Les Français répondront à l’appel du voyage malgré les J.O.
Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat, les augmentations des prix peuvent-elles empêcher des familles de partir ?
L’inflation et l’augmentation des prix ont un impact sur les vacances. Ce n’est pas propre la Tunisie. Partout dans le monde on assiste à une hausse des prix du séjour et de l’aérien. L’anticipation est une bonne idée, et plusieurs vacanciers l’ont bien compris et réservent leurs voyages plus d’un mois à l’avance. Soucieux d’optimiser et d’anticiper leurs dépenses, plusieurs ménages vont recourir à différentes stratégies pour éviter de se mettre dans le rouge. Ils jouent notamment sur le timing pour réduire leur budget voyage et partir en arrière-saison.
L’aérien suit-il ?
A mon avis, il faudrait mettre en place l’open sky en Tunisie. L’expérience d’autres pays qui l’ont fait avant nous montre que l’ouverture du ciel donnera plus de fluidité au trafic et de liberté du client qui peut voyager à moindre prix .Il faudrait encourager les compagnies low cost à s’installer en Tunisie.
L’ouverture du ciel est réclamée depuis longtemps par les professionnels du tourisme tunisien, dans l’espoir de relancer la destination. C’est une opportunité pour la Tunisie pourquoi ne pas en profiter ? surtout que les prix affichés sont trop chers durant la saison estivale. La Tunisie et Le Maroc présentent beaucoup de similitudes en particulier dans les marchés émetteurs où souvent ils se partagent la même clientèle. Il y a quelques particularités qui les distinguent notamment lorsqu’il s’agit de la saisonnalité, avec un léger avantage pour le Maroc notamment en hiver.
La France est aussi le premier marché émetteur pour la Tunisie, et lorsqu’on connait les effets de l’open sky sur les TO français on ne peut que craindre le pire pour la Tunisie. Les low-cost créent une demande nouvelle (dite “d’induction”) d’une clientèle recherchant le bas prix aérien mais aussi la flexibilité. L’explosion du marché des longs week-ends (très peu développé chez nous) est due d’abord à la tendance au fractionnement des vacances chez des consommateurs auxquels les low-cost offrent la flexibilité nécessaire.
Par ailleurs, une compagnie low-cost n’est pas, dans les faits, toujours synonyme de bas prix. Il arrive même, en cas de forte demande et de faible concurrence, que le billet d’une low-cost soit plus cher que celui d’une compagnie traditionnelle. La clientèle d’affaires et haut de gamme est, elle aussi, sollicitée par les low-cost, à l’instar d’EasyJet avec son programme EasyJet Plus.
Les Tunisiens seront-ils gâtés cet été ?
Le tourisme intérieur est considéré comme une option stratégique dans le cadre des orientations de l’Etat pour promouvoir le secteur du tourisme et améliorer sa compétitivité. Ce type de tourisme représente, ces dernières années, entre 20 et 30% du total des nuitées passées. Il contribue sans cesse à la dynamisation du flux touristique tout au long de l’année, la prolongation de la saison touristique et l’amélioration du rendement du secteur. Il faudrait promouvoir non offre touristique. Certains changements s’installent et deviendront la nouvelle norme. Pour le moment, l’important est de repenser non produit afin de s’adapter à un tourisme intérieur au sein duquel les résidents trouveront leur compte.
Certes les tunisiens qui veulent passer leurs vacances dans les hôtels se plaignent des prix affichés qui je le répète ne sont pas propres à la Tunisie. Partout dans le monde, les tarifs explosent en été. C’est pourquoi la FTAV a pensé à créer une plateforme avec le ministère du tourisme destiné aux touristes tunisiens et financé par le FODEC. C’est une plateforme de réservation qui sera lancée d’ici juin dont l’objectif est de combler le manque d’informations pratiques que rencontrent souvent les vacanciers, les touristes ou les utilisateurs lors de leur séjour et qui offre un large catalogue d’activités allant de l’hébergement, à l’animation, au transport, à la restauration.
Interview par Kamel BOUAOUINA