Ancien professeur de littératures françaises, il se consacre depuis quelques années à l’écriture romanesque. D’abord « Brasilia Café » en 2006 qui lui valut le Comar d’Or du roman-découverte ; « Le Chant des ruelles obscures », paru en 2017, remporta le Comar d’Or et Prix spécial du Jury ; « Les Jalousies de la rue andalouse » est son troisième roman publié en 2019 ; en 2020 parut son roman « La solitude des cités de béton » et « La Fille de Saint-Germain » en 2021. Le voilà, aujourd’hui, qui nous offre à lire son nouveau roman intitulé « La Complainte du Poète Insensé » publié aux Editions Arabesques.
Disons de prime abord que c’est la première fois que le romancier nous fournit un roman biographique, une biographie romancée, inspirée de la vie du poète-journaliste Mohamed Laâribi, figure littéraire emblématique des années trente du siècle dernier en Tunisie, étant l’un des membres du fameux groupe « Taht Essour » au quartier populaire de Bab Souika qui réunissait une pléiade d’écrivains, de poètes, d’artistes, de journalistes, de nouvellistes, de paroliers et de chanteurs, tels que Abderrazak Karabaka, Ali Douagi, Beyrem Ettounsi, Abdellaziz Laroui, Salah Khémissi et d’autres encore…
Certes, tous ces personnages sont toujours présents à côté de notre personnage « Moha », mais c’est surtout son caractère nomade, révolté, rebelle et extravagant ainsi que ses tribulations « amoureuses » auprès des prostituées des maisons closes, et son engagement politique pour la lutte contre l’occupant français, qui font de ce personnage un élément remarquable parmi tous les éléments du groupe « Taht Essour ».
Cependant, la part de la fiction dans ce roman est d’une importance capitale, sachant que le romancier s’est donné libre cours à son imagination pour nous faire vivre les joies et les délires du personnage mais aussi pour nous décrire la ville de Tunis de cette époque, des quartiers de la Médina et des événements qu’a connus la Tunisie sous l’occupation française. D’ailleurs, beaucoup d’ouvrages d’Ahmed Mahfoudh nous racontent la ville de Tunis, excepté son livre « La Fille de Saint Germain » qui nous amène en bord de mer de la banlieue-sud de Tunis, à la rencontre d’une jeune fille tunisienne, de ses rêves, de son ennui et de ses désirs d’émancipation, telle Madame Bovary de Gustave Flaubert.
Derrière l’histoire du personnage, l’auteur nous raconte toute l’ambiance de la ville de Tunis à cette époque-là, la situation socio-économique et politique, la vie culturelle et intellectuelle, marquée surtout par le conflit entre traditionalistes (les Zeitouniens) et modernistes qui préféraient s’ouvrir plutôt sur d’autres civilisations et d’autres cultures du monde, entre autres notre « héros » du roman.
Pour conclure, disons qu’à travers cette biographie romancée, Mahfoudh ne se contente pas de nous retracer le parcours de ce poète « maudit ». Mais il s’agit également d’une invitation à réfléchir sur la condition de l’artiste sous nos cieux, souvent tiraillé tantôt entre la misère et la splendeur, tantôt entre la reconnaissance et l’anonymat. Ce roman constitue donc en un hommage vibrant rendu à Mohamed Laâribi qui a consacré sa vie à l’art, souvent au prix de grands sacrifices personnels.
Hechmi KHALLADI