La scène du théâtre de plein air de Hammamet a accueilli, vendredi 5 juillet 2024, en première, la création « Othello et après », mise en scène par Hammadi Louhaïbi. Cette nouvelle version écrite par Boukthir Douma est conçue pour la 58ème édition du Festival International de Hammamet. Le texte de William Shakespeare devient ici matière contemporaine explorant à l’envi les arcanes des comportements humains. À l’affiche de cette nouvelle version « shakespearienne », porteuse d’un regard contemporain, une panoplie d’acteurs citons Mhadheb Rmili, Mohamed Chawki Khouja, Bahram Aloui, Samia Bouguerra, Ibaa Hamli, Faten Chouabi, avec la participation spéciale d’Ahmed Majri.
Écrit en 1603 en cinq actes, ce classique du père des arts aborde entre autres des thématiques profondes telles la trahison, la vengeance et l’éternel combat entre le bien et le mal. « Othello » se situe dans l’époque actuelle, traite de l’amour et de la haine et met en exergue les dérives racistes et intégristes. En langue arabe et dans un décor chorégraphique contemporain, la production tunisienne «Othello» constitue pour le metteur en scène non seulement une nouvelle expérience mais surtout une énorme responsabilité de présenter une nouvelle version d’une œuvre signée par l’illustre homme de théâtre Aly Ben Ayed, la production interarabe qui a été présentée dans la soirée inaugurale du vendredi 31 juillet 1964. La pièce traite donc de l’intolérance, du mal et de l’acceptation de l’autre. C’est une aussi tragédie de la jalousie. Si Desdémone, est un modèle de vertu, la malveillance ou la malchance fait naître chez son amant un doute, qui grandit démesurément et prolifère en une jalousie aussi irrationnelle que meurtrière : nous assistons à la naissance, puis au triomphe de ce sentiment, chez des hommes pourtant rationnels et amoureux.
Dès le début du spectacle, le spectateur est saisi. Les lumières comme des bougies vitales tissent un lien entre la scène et les gradins. La force du spectacle présenté ici tient tout d’abord ici dans le talent des acteurs présents sur le plateau, engagés dans un show tragique .Tout est dans le texte de Shakespeare, entre les lignes, dans la gestuelle, dans les mots qui cultivent aussi bien le mensonge que la vérité, le courage et la lâcheté, l’honnêteté et la trahison. Hamadi Louhaibi fait entendre, haut et fort sur le plateau, tous ces enjeux, révélant leur transversalité, leur agencement qui conduiront à la tragédie finale. La pièce, c’est un mélange de plusieurs codes, de la danse en passant par la musique, mais tous ont été travaillés l’un après l’autre pour devenir une sorte de parcours que la troupe traverse sur scène au fil de l’histoire. Il y a dans cette œuvre un extraordinaire travail d’analyse, de la musique bien concoctée par Ahmed Mejri qui crée une atmosphère qui transporte le public dans l’univers de la pièce. Cette musique joue un rôle essentiel lors des transitions entre les scènes. Elle comble les vides, maintient l’attention du public et assure une transition fluide d’une scène à l’autre. Ces interludes musicaux offrent au public des moments de réflexion, d’assimiler les événements et de se préparer à la suite de la pièce. Ainsi va la pièce, d’un poème à l’autre, d’un univers à l’autre et d’une vie à l’autre. L’influence de deux chorégraphes est ici évidente. Leurs mouvements sont habillés de tension, à la mesure d’une condition basée sur les discriminations, la mal,l’injustice et l’asservissement. Pour le metteur en scène, « briser » les codes artistiques dans cette pièce permet de plonger le public dans cette dimension cruelle de la société de performance dans laquelle nous vivons, et de lui faire ressentir cette anxiété profonde expérimentée par le personnage. Pendant près de deux heures, «Othello et après », a réussi à attirer l’attention du public mais aussi a pu opérer une intrusion dans ses sentiments et ses sens… forte par une brochette d’acteurs performants.
Dans un rythme aux échanges intenses, Mhadheb Rmili, Mohamed Chawki Khouja, Bahram Aloui, Samia Bouguerra, Ibaa Hamli, Faten Chouabi,ont réussi à porter la densité du texte, occupant tous les espaces de la scène. Le public a pris part à un voyage avec des personnages poignants, applaudissant longtemps, à l’issue du spectacle, les prestataires de cette belle fresque.
Kamel BOUAOUINA
Photos Berrazagua