L’amendement article 96 du code pénal fait toujours l’objet d’étude par l’exécutif, depuis que Kaïs Saïed a évoqué l’attitude de certains fonctionnaires qui se retranchent derrière cet article afin de se soustraire délibérément à l’exécution d’une tâche inhérente à leur fonction et ce, dans le but d’entraver le fonctionnement du service public.
Lors d’un récent conseil ministériel, Ahmed Hachani, chef du Gouvernement a présenté le projet comme s’inscrivant dans le cadre des réformes législatives visant à « améliorer le climat des affaires, protéger les fonctionnaires publics et à équilibrer les objectifs de la politique pénale en matière de lutte contre la corruption administrative et financière, d’une part, et à ne pas entraver le travail administratif et garantir son efficacité, d’autre part ». C’est justement cet équilibre difficile à réaliser, qui a incité à l’amendement de l’article 96.
Dans sa rédaction actuelle « est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende égale à l’avantage reçu ou le préjudice subi par l’administration, tout fonctionnaire public ou assimilé ou agent d’une entreprise publique, qui use de sa qualité et de ce fait se procure à lui-même ou à un tiers un avantage injustifié un avantage cause un préjudice à l’administration », l’avantage reçu, intervient dans tous les actes du fonctionnaire. Cela peut se référer à tout bénéfice, gain ou privilège reçu par le fonctionnaire, qui n’est pas dû en vertu de son poste, de ses fonctions ou de la loi. Il peut s’agir d’argent ou de cadeaux reçus en échange de l’octroi de contrats publics, de permis ou de licences. Comme il peut s’agir de népotisme comme le fait de favoriser un membre de la famille ou un ami pour une promotion ou un emploi au sein de l’administration publique, sans respecter les critères de compétence et de mérite.il peut également s’agir de primes ou indemnités reçues par le fonctionnaire, qui ne sont pas justifiées par le travail effectué ou qui dépassent les barèmes officiels. Bref, c’est toute forme de corruption qui est visée.
La preuve est rapportée par tous les moyens
Toutefois sur le plan de la preuve, les termes de cet article laissent la porte ouverte à toutes les interprétations possibles, ce qui rend souvent la preuve de la mauvaise foi du fonctionnaire difficile à établir. Prenons le cas d’un responsable qui encourage un homme d’affaire à investir, dans le cadre de ses fonctions bien sûr, en lui accordant des facilités, dans le paiement de certains droits. Il peut être accusé de concussion avec cet investisseur, afin de tirer un avantage personnel, soit des pots-de-vin quelconques. En l’absence de flagrant délit, la preuve est difficile à établir. Ce qui peut avoir un effet dissuasif sur l’esprit d’initiative des fonctionnaires, en instaurant un climat de peur et de méfiance. La ministre de la justice Leila Jaffel qui a présenté le projet au cours du conseil des ministres, a souligné la nécessité « de fournir un cadre juridique complet visant à garantir la reddition des comptes des personnes impliquées dans la corruption administrative et financière, tout en évitant de compromettre l’esprit d’initiative et d’innovation des fonctionnaires publics exerçant leurs pouvoirs conformément à la loi, et en préservant l’intérêt général ».
Quel serait la nature du cadre juridique ?
Là est toute la question. Il serait probablement question dans la nouvelle loi de promouvoir la transparence dans les processus décisionnels et instaurer des mécanismes de reddition des comptes. Il est impératif également d’assurer que les fonctionnaires soient tenus responsables de leurs actions, mais dans un cadre juste et équitable. Il est légitime de mettre en place des systèmes de reconnaissance et de récompense pour les initiatives positives et les contributions innovantes des fonctionnaires. Surtout que Leila Jaffel a aussi indiqué que « le projet de loi modifie les dispositions de l’article 96 du Code pénal et ajoute un nouvel article criminalisant le refus d’exécuter les fonctions selon des conditions spécifiques ».
Un délit intentionnel
En effet, dans l’esprit du législateur l’article 96 a été conçue essentiellement pour la lutte contre la corruption, au niveau de l’administration publique. Cependant, selon la façon dont il est rédigé, tout responsable au sein de l’administration publique peut être facilement accusé de se procurer un avantage ou procurer un avantage à autrui. Surtout qu’il peut faire l’objet de dénonciation par un tiers. Il fallait donc prévoir que toute acte suspect doit être prouvé de manière tangible. C’est-à-dire faire de cette infraction un délit intentionnel.
En matière de corruption, il faut que soient établis des actes tels que le fait d’offrir, de promettre, donner ou recevoir un avantage indu pour influencer l’action d’un fonctionnaire ou d’une autre personne en position d’autorité. La preuve de l’intention criminelle est essentielle pour établir la responsabilité pénale dans les délits intentionnels. Bref, en mettant en place des systèmes de protection, de transparence et de reconnaissance, il est possible de créer un environnement où les fonctionnaires se sentent en sécurité et encouragés à prendre des initiatives positives.
Une approche proactive et éthique de la gouvernance peut ainsi favoriser l’innovation et l’efficacité dans la fonction publique. Il faut donc qu’il y ait dans la nouvelle loi, un équilibre entre encourager l’initiative du fonctionnaire public, afin de ne pas entraver le travail administratif d’une part et garantir la reddition des comptes concernant les personnes impliquées dans la corruption ». Equation difficile mais pas insoluble avec des mécanismes tendant d’une part à protéger le fonctionnaire et à prévenir et sanctionner les avantages injustifiés.
Ahmed NEMLAGHI