Par Slim BEN YOUSSEF
Une consœur gazaouie, la survivante Bisan Owda, a remporté cette semaine un Emmy Award, dans la catégorie actualités et documentation, pour son projet journalistique « I’m Bisan from Gaza and I’m still alive » (Je suis Bisan de Gaza et je suis toujours en vie), une série de reportages et de récits poignants qui documentent, au quotidien, son propre vécu de survivante durant le génocide perpétré par Israël dans la bande de Gaza depuis bientôt un an, raconté au monde, en temps réel, en récit et en images. Dans un premier temps, la journaliste publiait ses reportages sur ses propres réseaux sociaux qui avaient très vite attiré des millions de spectateurs et de « followers » dans le monde, dont la majorité étaient des « millenials » américains, entendez ces jeunes Américains et Américaines, nés après l’année 2000, et qui, désabusés par la machine de désinformation massive de leur pays, ont trouvé dans la série de Bisan, qui s’exprime notamment en anglais, et en d’autres sources comme Bisan, leur seule alternative pour s’informer et suivre en temps réel un génocide présenté par les médias de leur pays comme un « droit d’Israël de se défendre ». Plus tard, et face aux coupures récurrentes d’internet provoquées par les Sionistes afin de couper Gaza du monde et face à la censure exercée par les réseaux sociaux contrôlés par l’Occident, outre le risque de géolocalisation par ces mêmes réseaux, qui avait permis entre autres à Israël de localiser puis assassiner plus d’une centaine de journalistes à Gaza, Bisan a très vite compris qu’elle devait se trouver une plateforme alternative pour sa série de reportages. Parrainée dans la foulée par Al Jazeera qui lui a offert sa plateforme numérique « AJ+ », la série de Bisan a eu un impact significatif à l’échelle mondiale, mettant en lumière, au quotidien, la résilience, la résistance et la force quasi-surnaturelle d’un peuple confronté à un génocide sans précédent. Bisan a « accepté » son Emmy depuis « quelque part » dans la bande de Gaza où elle survit toujours au génocide. Son producteur de chez « AJ+ », qui s’est déplacé aux USA pour recevoir le prix à sa place, a salué le « pouvoir » d’une femme qui, avec seulement un iPhone, a survécu à près d’un an de génocide.
Dans l’une de ses correspondances avec Oskar Pollak, Franz Kafka a écrit au début du siècle précédent : Nous avons besoin de narrations qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un qui nous est plus cher que nous-mêmes, qui nous donnent l’impression d’être au bord du suicide ou perdus dans une forêt éloignée de toute habitation humaine.
C’est ce temps de « deuil », dont parle Kafka, et qui est si durable, si endurant, si inachevable, qui fait l’espace de l’art et façonne la mémoire pour un génocide. Nous avons besoin de narrations comme celles de Bisan parce que chaque moment non raconté dans un génocide est un « deuil » à jamais perdu.