Les syndicalistes entrés en dissidence contre l’aile conduite par le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, en septembre dernier continuent à se mobiliser pour exiger l’avancement de la date du prochain congrès et mettre fin à la crise de légitimité dont souffre l’actuel Bureau exécutif de l’organisation.
Cinq membres du Bureau exécutif (Anouar Ben Gaddour, Slaheddine Selmi, Taher Mezzi, Monem Amira et Othmen Jallouli) et une vingtaine de secrétaires généraux d’unions régionales et de fédérations sectorielles ont tenu la semaine écoulée une réunion au siège de la centrale syndicale, à la Place Mohamed Ali, pour réclamer la reprise des travaux du conseil national qui avaient été suspendus le 7 septembre dernier, en vue de convoquer un congrès extraordinaire ou d’avancer la date du congrès ordinaire initialement prévue en 2027.
Cette réunion s’est soldée par l’adoption d’une déclaration commune qui a été transmise au secrétaire général de l’organisation.
La crise interne qui secoue l’UGTT a connu son point culminant lors de la réunion du conseil national qui s’est tenue à Monastir début septembre, lorsque le secrétaire général de l’organisation a refusé le recours à un vote de la motion interne qui comportait trois propositions relatives à la date du prochain congrès : un congrès extraordinaire en 2025, un congrès anticipé en 2026 et un congrès ordinaire en 2027. Ce refus s’est soldé par le retrait de près de deux-tiers des délégués de la salle où se tenait la réunion, ce qui a obligé le secrétaire général de l’organisation à annoncer la clôture des travaux du conseil national dans un climat délétère.
Le différend autour de la date du prochain congrès trouve son origine dans les dissensions qui avaient éclaté dans la foulée de l’amendement de l’article 20 des statuts de l’UGTT lors d’un congrès non électif tenu en juillet 2021. Cet amendement a fait sauter le verrou de la limitation des mandats des membres du Bureau exécutif à deux seulement, et permis la reconduction de plusieurs d’entre eux pour un troisième mandat consécutif lors du congrès de février 2022.
L’amendement très controversé a abouti, in fine, à un affaiblissement sans précédent de l’organisation sous l’effet d’un manque de légitimité de sa plus haute instance dirigeante, en l’occurrence le Bureau exécutif.
Durant la dernière réunion du conseil national, qui s’est déroulée dans une ambiance électrique, deux secrétaires généraux adjoints, Slaheddine Selmi et Anouar Ben Gaddour, avaient appelé à une démission collective des membres du Bureau exécutif. Mais leur appel a été rejeté par l’aile conduite par Noureddine Taboubi.
Au bout du compte, l’UGTT s’est retrouvée engluée dans un immobilisme frileux qui donne au syndicat fondé par Farhat Hached l’image d’une organisation dévitalisée, totalement absente du débat public et incapable de mobiliser ses troupes pour exiger des négociations salariales ou défendre les droits des travailleurs.
Comité de sages
Les syndicalistes frondeurs estiment cependant que cette situation ne doit plus durer.
« Nous allons accentuer la pression sur la direction à travers des mouvements de protestation pour l’obliger à avancer la date du congrès.
La situation est devenue insoutenable au sein du syndicat alors que les accords avec le gouvernement n’ont pas été mis en œuvre, en plus des restrictions à l’action syndicale, du harcèlement des syndicalistes et du blocage du dialogue », s’est emporté le secrétaire général adjoint de l’Union régionale du travail de Sfax, Mohamed Abbas, le dimanche 24 novembre 2024, dans une déclaration à l’agence TAP. Et d’ajouter : « Nous pesons que le fait d’avancer la date du congrès peut permettre de sauver l’organisation».
Les syndicalistes frondeurs appellent par ailleurs à la constitution d’un comité de sages composé d’anciens dirigeants de l’organisation comme l’ex-secrétaire général Houcine Abbassi, et l’ancien secrétaire général adjoint Abdelkarim Jerad, pour proposer des solutions concertées à la crise interne.
Entre-temps, d’autres syndicalistes qui s’étaient opposés dès juillet 2021 à l’amendement de l’article 20 ont multiplié ces dernières semaines les mouvements de protestation à la Place pour exiger le départ de Taboubi et ses camarades.
Réunis au sein d’une structure informelle baptisée « le Forum syndical pour l’ancrage de la pratique démocratique et le respect des statuts de l’organisation », ces syndicalistes estiment que l’avancement de la date du congrès ou la tenue d’un congrès extraordinaire 2025 ne permettraient pas à l’organisation de retrouver sa crédibilité perdue. D’autant plus qu’un tel congrès n’aboutirait, selon eux, qu’à un « recyclage des putschistes » alors que l’organisation a besoin d’une refonte de fond en comble.
Les figures de cette « opposition syndicale » dont font partie Taïeb Bouaïcha, Habib Jerjir, Monia Ben Nasr Ayadi et Mouldi Aouachria proposent de « faire table rase » du passé , à travers la mise en place d’une comité de direction provisoire qui veillerait sur le renouvellement des diverses structures inférieures (syndicats de base et unions locales) et intermédiaires (syndicats généraux, fédérations, unions régionales ), ainsi que sur « l’assainissement » de l’organisation des éléments sur lesquels pèsent des soupçons de malversations financières avant la tenue d’un congrès national, qui remettrait la centrale syndicale historique sur les rails.
Walid KHEFIFI