Quand on évoque la notion d’espaces publics, il est bien sûr question de l’espace extérieur au domicile, un espace commun qu’on traverse pour aller travailler, qu’on occupe quand on sort seule, avec des ami.e.s ou des enfants, ou qui offre de nombreuses ressources en termes de loisirs, d’activités culturelles, sportives, festives ou de consommation. Les espaces publics sont-ils ouverts et accessibles à toutes et tous ? Leurs usages favorisent-ils une citoyenneté inclusive ou (re)produisent-ils au contraire des formes de stratification sociale ? Les femmes peuvent-elles se mouvoir en toute liberté dans nos villes?
Le peuvent-elles toutes de la même façon ? Telles sont les questions qui ont guidé femmedina, un projet novateur qui s’engage à renforcer le rôle des femmes en tant qu’actrices clés du développement local. Il vise à créer des opportunités économiques, à favoriser l’inclusion sociale et à promouvoir l’égalité des genres dans les communautés urbaines. Cities Alliance envisage un monde où toutes les femmes et les filles peuvent vivre dans des villes et des communautés inclusives et équitables. Avec le programme mondial « Des villes pour les femmes », il vise à accroître l’engagement des filles et des femmes dans le développement urbain et la gouvernance, et à aider les villes à développer des zones urbaines plus sensibles au genre et inclusives qui répondent aux besoins de chacun.
Ainsi dans le cadre de son engagement pour une urbanisation inclusive et équitable, et avec l’appui de la coopération Suisse et les Affaires mondiales Canada (AMC) , Cities Alliance, a dévoilé vendredi 14 février 2025 à Hammamet les résultats phare du projet pour une urbanisation sensible au genre . Il s’agit d’une initiative novatrice visant à valoriser le rôle des femmes en tant qu’actrices essentielles du développement local.
L’événement dont l’objectif est de promouvoir l’inclusion et l’autonomisation des femmes dans les espaces publics des centres historiques (médinas) des quatre municipalités partenaires à Sousse, M’saken, Mahdia et Kairouan, a réuni des experts internationaux, des représentants de municipalités et des professionnels tunisiens en vue d’échanger et d’approfondir les connaissances des participants quant au rôle des femmes dans le développement local. Femmedina envisage un monde où toutes les femmes et les filles peuvent vivre dans des villes et des communautés inclusives et équitables.
Avec le programme mondial « Des villes pour les femmes », il vise à accroître l’engagement des filles et des femmes dans le développement urbain et la gouvernance, et à aider les villes à développer des zones urbaines plus sensibles au genre et inclusives qui répondent aux besoins de chacun.Le projet s’appelle Femmedina, une combinaison des termes “femmes” et “médina” (ville historique), car les villes ont un rôle clé à jouer dans la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles. Il vise à réhabiliter et activer les espaces publics du centre historique des villes tunisiennes , la Médina, à travers un processus plus large de participation des femmes.
. Les villes comme l’indique Kais Mnasri, de la coopération suisse, ont un rôle clé à jouer dans la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles. « Il est donc important d’examiner comment les espaces publics peuvent promouvoir l’établissement de relations entre les femmes et la ville. Ce projet favorise leur intégration dans la vie économique et sociale, tout en améliorant leur bien-être et leur qualité de vie. » explique t-il « C’est un processus participatif complet dans les médinas tunisiennes est le noyau à partir duquel s’engagent les femmes. Il permet également d’identifier les espaces publics clés pour des interventions physiques à petite échelle visant à améliorer l’autonomisation et la sécurité des femmes dans les espaces publics. Tout au long du processus, les femmes résidentes et les dirigeants de la ville amélioreront leur capacité à prendre des décisions collectives sur la manière de créer une meilleure qualité de vie » précise Dalel Laroussi, représentante des Affaires Mondiales Canada.
L’espace public : les hommes l’occupent, les femmes s’y occupent !
La ville est appelée à développer un espace public égalitaire, inclusif, qui prenne en considération la diversité des pratiques, et ce en questionnant les perspectives qui alimentent une vision masculine de la vie urbaine. L’espace public est apparu comme un espace en tension. S’il devrait en principe être un espace ouvert et accessible à toutes et tous, un espace de liberté et de partage qui relève du bien public, de nombreuses pratiques et modalités d’occupation masculine viennent mettre à mal cet idéal . Pour les femmes qui ont participé à l’enquête, l’espace public est souvent le lieu d’interactions non désirées, de violences, d’insultes et d’insécurité qui viennent malmener cette vision d’ouverture, d’accessibilité et de partage . Bien que les femmes disent vouloir profiter des opportunités de sorties, de partage, d’accès à la culture et aux nombreux avantages de la vie urbaine, elles témoignent d’un sentiment plus général d’être «exposées » lorsqu’elles sont dans l’espace public; elles disent s’y sentir comme des «proies», notamment la nuit.
Elles affirment ne pas pouvoir «habiter l’espace public» comme le font les hommes Ainsi les femmes de la Médina sont confrontées à de multiples défis qui entravent leur participation sociale, politique, culturelle et économique. Les obstacles à l’engagement effectif des femmes résultent des caractéristiques physiques de la ville, des perceptions culturelles et des normes sociales de ses habitants, des réalités économiques et sociales locales, des cadres juridiques et des pratiques institutionnelles discriminatoires.. En conséquence, la mobilité des femmes est réduite, étant donné que les résidentes évitent de sortir de chez elles lorsque les rues de la Médina sont moins encombrées. De plus, la stigmatisation sociale influence souvent les itinéraires que les femmes choisissent lorsqu’elles se déplacent dans la ville, car elles peuvent être sanctionnées socialement pour avoir traversé des rues et des lieux particuliers. C’est le cas de Salma qui passe la plupart de son temps à la maison .
Même si la Médina compte de nombreux cafés, elle préfère rencontrer ses amies en dehors de la ville, parce qu’elle ne trouve aucun espace dans le quartier qui soit à la fois sûr et pratique pour les femmes. Cependant, Salma aspire à passer plus de temps dans la Médina si celle-ci devient plus vivante et plus appropriée pour les femmes. Par exemple, elle aimerait voir plus d’activités auxquelles elle pourrait participer dans la Médina et plus d’éclairage pour que les femmes se sentent plus en sécurité. « J’adore la Médina et ce projet Femmemédina pourra pour la rendre meilleure, plus sûre et plus accueillante, toutes les personnes, femmes, hommes, personnes âgées et enfants pourraient en profiter sans crainte » dit-elle. Amna hésite à sortir dans la Médina pendant son temps libre car elle estime que les espaces disponibles ne sont pas accueillants pour les femmes et les filles. Elle décrit les espaces actuels de la Médina comme occupés par des hommes. Amna souhaite rester dans la Médina mais elle aimerait voir plus d’initiatives ciblant les femmes. Par exemple, elle aimerait voir des espaces plus propres, verts et confortables où elle pourrait rencontrer ses amies.
« Les quartiers sont étouffants car il n’y a rien d’attrayant, ni les espaces verts, ni les espaces de divertissement et de loisirs. Honnêtement, je veux continuer à vivre dans la Médina, mais j’aimerais bien avoir une petite initiative dédiée aux femmes, un club, par exemple où les femmes pourraient se rassembler dans un bel espace ouvert pour apprendre, partager et profiter de leur temps » note t-elle Alors que les institutions culturelles abondent dans la Médina , les femmes ne peuvent pas toujours accéder à ces espaces. Les centres culturels offrent rarement des programmes et des services adaptés aux besoins des femmes, et les événements culturels organisés dans le quartier ne sont souvent pas adaptés au contexte local et aux intérêts des résidents.
Plus encore, les espaces publics de la Médina sont peu conviviaux et accueillants pour les femmes car ils sont majoritairement appropriés par les hommes et les clients des cafés. Ainsi, les femmes préfèrent se retrouver dans des espaces clos et privés. Sur le plan économique, les opportunités d’emploi sont rares pour les femmes de la Médina. Celles qui trouvent du travail sont confrontées à une discrimination fondée sur le sexe, ce qui limite leurs opportunités de développement professionnel.
Pour des espaces inclusifs et accessibles aux femmes
L’espace public est-il véritablement ouvert à toutes et tous, comme le veut sa définition usuelle? Bien que la ville appartienne censément à tout le monde, sans distinction, n’est-elle pas le lieu de nombreuses frontières sociales ? Notamment en termes de genre, mais également de catégories sociales et géographiques, d’orientation affective et sexuelle, d’âge et de validité ? La question de la lutte contre les discriminations est aujourd’hui cruciale lorsqu’il s’agit de penser l’idéal d’accès et d’usage de l’espace public qui devrait être un espace partagé, un espace ouvert auquel toutes et tous devraient pouvoir accéder, quel que soit son sexe, son origine sociale ou géographique, son orientation affective ou sexuelle, son âge, leur expérience de cet espace est pour le moins ambivalente.
Femmedina est une initiative novatrice visant à créer des espaces publics plus sûrs, inclusifs et accessibles aux femmes . Historiquement, les hommes ont occupé une place prépondérante dans la vie publique, alors que les femmes restaient dans la sphère privée pour s’occuper de la vie domestique Aujourd’hui, les rapports sociétaux ne sont plus les mêmes, et il est attendu que les femmes utilisent l’espace public .Impliquer davantage les femmes dans la fabrique de la ville est une exigence de premier ordre. Fabriquer un territoire réellement égalitaire implique de lutter contre les stéréotypes de genre. Ceci doit intervenir dans l’espace public dès le plus jeune âge, s’agissant notamment de la conception et de l’occupation des cours d’école, de l’offre de loisirs et d’activités sportives ou culturelles dans l’espace public.
Le projet Femmedina vise à aménager des espaces publics inclusifs qui répondent aux besoins des femmes de ces 4 municipalités partenaires et renforcent leur participation économique, politique, sociale et culturelle à la vie publique. À travers un processus participatif, FEMMEDINA a pu recueillir les voix, les expériences et les attentes des femmes de la médina. Le processus comprenait des ateliers, une cartographie de l’espace et une enquête auprès des citoyens ainsi qu’une analyse des données recueillies sur l’utilisation et l’activité des espaces publics. Ce processus participatif a servi de base à la réhabilitation et au développement des espaces publics inclusifs. Des experts locaux et des citoyens vivant à proximité de la médina ont été mobilisés pour identifier les types d’interventions nécessaires pour améliorer l’espace public en faveur de la participation des femmes. Des informations et des données essentielles ont été collectées au moyen d’entretiens, d’ateliers et d’enquêtes, ce qui a permis d’identifier les emplacements potentiels propices aux interventions et à la transformation.
A Mahdia, plus de 1000 citoyens ont été impliqués dans la collecte des données sur les défis de la pratique de l’espace public par les femmes. Plus de dix membres municipaux ont renforcé leurs compétences liées à la planification urbaine sensible au genre. A Sousse, plus de 150 personnes ont participé aux différents ateliers de co-création. Tout le monde s’est impliqué. Les changements identifiés peuvent inclure des améliorations, par exemple, de l’éclairage ou des sièges dans les espaces publics ou la réhabilitation de bâtiments publics utilisés. L’idée de ce projet est de repenser la manière dont les villes sont planifiées et gérées. A Sousse, le projet s’est concentré sur le quartier Gabadji Grandi. A Msaken, le projet a touché le Souk Sidi Chatti alors qu’à Mahdia, l’effort s’est concentré sur le quartier Bordj Erass. A Kairouan, le programme a essayé d’aménager un espace public à Sidi Sahbi.
Kamel BOUAOUINA