Les énergies renouvelables ne sont pas seulement une nécessité technique ou économique, elles sont un enjeu profondément culturel, un dialogue ininterrompu entre l’homme et la Terre qui l’abrite. Mère Nature, généreuse et patiente, nous offre ses ressources infinies, mais elle attend de nous une écoute respectueuse, une intelligence qui sache transformer son souffle, son eau, son soleil en promesses d’avenir. La culture, dans toute sa richesse, se fait l’écrin de cette prise de conscience. Les films, les documentaires, le storytelling tissent des récits qui éveillent les esprits et ancrent dans l’imaginaire collectif l’urgence d’un changement. Les médias, à l’unisson des réseaux associatifs, doivent porter cette voix, faire résonner ces histoires, éclairer ces enjeux. Car sensibiliser, c’est déjà transformer. C’est semer aujourd’hui les graines d’une terre vivable pour les générations à venir.
C’est dans cet élan de conscience et d’engagement qu’une rencontre d’envergure consacrée à la gouvernance et à la transition énergétique a été organisée par Natural Resource Governance Institute (NRGI) . Cet événement, tenu dans un hotel de la place, a réuni des acteurs clés du secteur énergétique tunisien et mis en avant le rôle crucial de la société civile dans le dialogue entre les autorités publiques et les régions.
L’initiative a mobilisé des représentants du Ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, des gouvernorats de Kébili et Tataouine, ainsi que des entreprises publiques telles que la STEG et la SNDP. Des associations de la société civile de Kébili et Tataouine, l’ATPG et TENS, ont également pris part aux débats.
Laury Hathayen, Directrice de la région MENA de NRGI, a inauguré la rencontre en insistant sur l’importance d’un dialogue multipartite. Elle a rappelé l’engagement de NRGI à collaborer avec les différentes parties prenantes.
Une transition énergétique aux multiples visages
La transition énergétique s’impose aujourd’hui comme l’un des grands enjeux du siècle, suscitant des débats passionnés aux quatre coins du globe. Certains la perçoivent comme une formidable opportunité de repenser nos modèles de production et de consommation, tandis que d’autres y voient un défi colossal, exigeant une gestion minutieuse pour ne pas compromettre les équilibres économiques. Face à ces bouleversements, l’Institut pour la Gouvernance des Ressources Naturelles (NRGI) se positionne en observateur engagé, fort de son expertise en gouvernance des hydrocarbures et des énergies renouvelables.
Depuis 2011, NRGI a joué un rôle clé dans les réformes institutionnelles en Tunisie, influençant même certaines dispositions constitutionnelles relatives à la gestion des hydrocarbures. Mais alors que le paysage énergétique mondial évolue et que les énergies renouvelables gagnent du terrain, l’organisation élargit son champ d’action pour accompagner une transition plus juste et plus durable.
Laury Haytayan rappelle que l’Institut, initialement focalisé sur le pétrole et le gaz, suit de près ces mutations. Présent en Tunisie depuis plus d’une décennie, il a accompagné les débats sur la gouvernance énergétique dans un contexte de transformations profondes, impactant aussi bien les pays riches en hydrocarbures que ceux qui en dépendent pour leur approvisionnement. Ces bouleversements ne sont pas anodins : ils redessinent les économies et redéfinissent les équilibres financiers à l’échelle mondiale.
« Nous avons dû adapter notre expertise en gouvernance pétrolière et gazière pour répondre aux défis de la gouvernance des énergies renouvelables et des transitions énergétiques », explique-t-elle. Car si le pétrole a longtemps été au cœur des enjeux énergétiques, il ne peut plus être le seul prisme à travers lequel analyser les dynamiques actuelles.
Des transitions plurielles, des défis multiples
Insistant sur l’idée qu’il n’existe pas un modèle unique de transition énergétique, Laury Haytayan souligne que chaque pays trace sa propre trajectoire en fonction de ses ressources et de son contexte économique.
Les nations riches en pétrole, par exemple, appréhendent souvent cette transition comme une menace pour leurs revenus. Pour elles, l’urgence est double : imaginer dès aujourd’hui des alternatives et diversifier leurs économies afin de réduire leur dépendance aux hydrocarbures. Loin d’être une simple mutation énergétique, il s’agit d’une transformation structurelle qui implique une refonte complète des modèles de croissance.
À l’inverse, des pays comme la Tunisie, moins liés aux revenus pétroliers, peuvent envisager cette transition avec plus de souplesse. Libérés du poids des hydrocarbures, ils ont l’opportunité d’amorcer leur virage vers les énergies propres sans provoquer de bouleversements sociaux comparables à ceux que connaissent les grandes économies pétrolières.
Une stratégie pensée pour la Tunisie et sa région
Parmi les grands objectifs fixés lors de la COP28, l’un des plus ambitieux est le doublement de la part des énergies renouvelables. Un tel engagement ne se résume pas à un simple déploiement technologique : il implique un accès accru aux minéraux stratégiques indispensables aux infrastructures énergétiques vertes. Cette course aux ressources soulève des enjeux géopolitiques et économiques majeurs, où chaque pays doit veiller à sécuriser son approvisionnement tout en garantissant une exploitation éthique et durable.
L’impératif d’une justice énergétique entre le Nord et le Sud
Mais au-delà des aspects techniques et économiques, la transition énergétique pose une question plus profonde : celle de l’équité entre le Nord et le Sud. Laury Haytayan met en lumière ce dilemme : comment faire en sorte que cette transformation ne profite pas uniquement aux pays développés, mais qu’elle devienne un levier de développement pour les nations émergentes ?
Si l’histoire nous a appris que les révolutions industrielles et technologiques ont souvent accentué les inégalités, il est aujourd’hui crucial d’écrire un nouveau récit. Un récit où les pays du Sud ne seraient pas de simples fournisseurs de matières premières pour les économies du Nord, mais de véritables acteurs du changement, bénéficiant d’investissements, de transferts de technologies et d’un accès équitable aux marchés de l’énergie propre.
Car en définitive, la transition énergétique ne sera réellement réussie que si elle s’inscrit dans une dynamique inclusive, où chaque nation trouve sa place et tire profit des opportunités qu’elle engendre. C’est à cette condition que nous pourrons bâtir un avenir énergétique durable, à la fois respectueux des ressources naturelles et porteur de prospérité partagée.
Un équilibre entre gouvernance et justice énergétique
Face aux mutations profondes du paysage énergétique mondial, l’Initiative pour la gouvernance des ressources naturelles (NRGI) trace une voie où la transition énergétique ne se limite pas à une révolution technologique, mais devient un levier de développement inclusif. Cette stratégie repose sur deux piliers essentiels, chacun porteur d’un changement structurant pour l’avenir énergétique.
D’un côté, la gouvernance du secteur minier s’impose comme un impératif absolu. La montée en puissance des énergies renouvelables s’accompagne d’une demande exponentielle en minéraux stratégiques, nécessaires aux technologies vertes. Or, derrière l’éclat prometteur du solaire et de l’éolien, se cache une réalité plus âpre : celle de l’exploitation des ressources naturelles, souvent marquée par l’opacité et les déséquilibres géopolitiques. Pour éviter que cette course aux minéraux ne reproduise les injustices du passé, un cadre de gouvernance transparent et équitable s’impose. Il ne s’agit pas seulement de réguler, mais de garantir une exploitation responsable, où l’environnement, les populations locales et les générations futures ne sont pas les laissés-pour-compte de cette nouvelle ère énergétique.
D’un autre côté, la transition énergétique doit être perçue comme un vecteur de justice et non comme un facteur d’inégalités accrues. L’enjeu est crucial : veiller à ce que cette transformation ne creuse pas davantage le fossé entre le Nord et le Sud, mais qu’elle devienne au contraire une opportunité pour les économies émergentes. Le transfert de technologies et les investissements doivent être pensés comme des ponts entre les nations, et non comme des instruments de domination. Dans cette quête d’équilibre, chaque pays doit avoir la capacité d’écrire son propre récit énergétique, avec des solutions adaptées à ses réalités et à ses aspirations.
Une dynamique de savoir et de dialogue pour une transition éclairée
Consciente que la transition énergétique ne saurait être un projet mené en vase clos, NRGI inscrit son action dans une démarche de production de connaissances et de dialogue régional. L’enjeu est double : d’une part, ancrer les débats dans des expertises locales, en valorisant les compétences nationales et en leur offrant un espace d’expression. D’autre part, diffuser des analyses stratégiques approfondies, essentielles à une prise de décision éclairée.
Dans cette optique, NRGI s’engage à publier trois études majeures cette année, chacune explorant une facette cruciale de la transition énergétique. La première porte sur la décarbonation du secteur pétrolier et gazier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, une région où la dépendance aux hydrocarbures reste une réalité prégnante. La seconde met en lumière les opportunités qu’offre la coopération régionale en matière d’énergies renouvelables, soulignant combien l’interconnexion entre pays pourrait accélérer la transition. Enfin, la troisième analyse les contours d’un partenariat énergétique entre l’Europe et l’Afrique du Nord, identifiant les défis à surmonter pour que cette alliance ne soit pas une relation de subordination, mais un pacte fondé sur l’échange et le bénéfice mutuel.
Vers un nouveau pacte énergétique
Dans ce vaste chantier, la Tunisie n’est pas en reste. Lors de son intervention, Afef Chachi Tayari, Cheffe de Cabinet du Ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, a souligné l’importance de cette rencontre comme un espace d’échange et de réflexion collective sur les défis et perspectives de la transition énergétique. Plus qu’une simple adaptation aux nouvelles tendances mondiales, il s’agit pour la Tunisie de poser les bases d’un modèle qui lui soit propre, où chaque acteur – État, société civile, secteur privé – joue un rôle déterminant.
Au cœur de cette dynamique, une initiative phare se dessine : la création du premier réseau tunisien pour la transition énergétique. Plus qu’un cadre institutionnel, ce réseau se veut un catalyseur d’idées, un lieu de convergence pour aligner les efforts des différents acteurs et bâtir une vision commune.
Mme Tayari a également rappelé que la transition énergétique s’inscrit parmi les priorités stratégiques de l’État tunisien. Dans un contexte marqué par l’instabilité des prix des hydrocarbures, la diminution de la production de combustibles fossiles et l’urgence climatique, il est impératif d’accélérer la mutation vers un modèle énergétique plus résilient. La Tunisie, à l’instar de nombreux pays, se trouve à un carrefour où chaque décision prise aujourd’hui façonnera son indépendance énergétique de demain.
Mais au-delà des infrastructures et des réformes réglementaires, une transition énergétique véritablement réussie ne peut se concevoir sans une transformation sociale en profondeur. Mme Tayari insiste sur cette approche élargie, qui dépasse les considérations purement technologiques pour englober de nouvelles formes d’organisation et de gouvernance. L’inclusion des acteurs locaux et régionaux est essentielle pour garantir un accès équitable à une énergie propre et abordable.
Dans cette quête d’un avenir énergétique plus transparent et participatif, le ministère a choisi d’ancrer son action dans trois principes fondamentaux : la transparence, la confiance et l’ouverture. Ces valeurs, loin d’être de simples slogans, doivent se traduire en mécanismes concrets permettant une meilleure gestion des ressources naturelles et un dialogue permanent entre les parties prenantes.
Mme Tayari a conclu son intervention en rappelant que la transition énergétique ne saurait être l’affaire d’un seul acteur. Elle est un projet collectif, une œuvre commune où chaque citoyen, chaque organisation et chaque expert détient une part de responsabilité. L’implication de la société civile est indispensable pour ancrer cette transformation dans les réalités locales et lui donner une véritable portée sociale. Enfin, elle a réaffirmé l’importance du dialogue et de la concertation pour orienter les choix stratégiques du pays, car seule une gouvernance inclusive permettra d’assurer un avenir énergétique à la fois viable, équitable et durable.
Ainsi, la Tunisie se trouve à l’aube d’un tournant décisif. Entre défis et opportunités, entre contraintes et ambitions, elle doit inventer un modèle énergétique qui lui ressemble, à la fois ancré dans ses réalités et ouvert aux dynamiques internationales. Loin d’être une simple question de production et de consommation, l’énergie devient ici un véritable projet de société, où se joue l’avenir de générations entières.
Un souffle nouveau pour la transition énergétique
Dans l’auditorium baigné de lumière, un vent d’ambition et d’engagement souffle sur les débats. Abdehamid Khalfallah, Directeur de la transition énergétique, dévoile les contours d’un avenir où la Tunisie embrasse un mix énergétique plus durable. Il esquisse une vision audacieuse, nourrie des réalisations passées, portée par des réformes en marche et tournée vers un horizon 2035 où l’énergie propre ne serait plus un simple idéal, mais une réalité ancrée dans le paysage national. Cependant, derrière les chiffres et les stratégies, un défi demeure : conjuguer transition énergétique et justice sociale, progrès et inclusion.
À ses côtés, Abir Yahyaoui, Tunisia Senior Officer de NRGI, dresse le bilan d’une expérience inédite menée dans les terres brûlées de Kébili et Tataouine, où le soleil ne se contente pas d’écraser l’horizon mais devient une source de renouveau. Ce projet pilote, conçu comme un laboratoire de la transition énergétique, cherche à replacer les populations locales au cœur des décisions. Car l’énergie, au-delà de ses kilowatts, est une question d’appropriation, de participation et de dialogue. En donnant une voix à ceux qui, trop souvent, restent dans l’ombre des grandes stratégies, cette initiative trace une voie nouvelle vers un modèle énergétique à visage humain.
Dans cet élan, Anouer Belhabib, Président du Réseau Associatif de Transition Énergétique Juste (RATEJ), annonce une nouvelle ère pour la société civile avec la création du premier réseau national entièrement dédié à la transition énergétique. Plus qu’une structure, il s’agit d’un espace de convergence où les associations, les chercheurs et les acteurs économiques unissent leurs forces pour repenser ensemble l’avenir énergétique du pays. L’objectif est clair : bâtir un cadre de concertation permanent, un carrefour d’idées et d’actions où la transition énergétique se conjugue avec transparence, innovation et engagement citoyen.
Mais une vision, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut se concrétiser sans des fondations solides. L’expert Sami Belhaj livre une synthèse des discussions et met en lumière les pistes essentielles pour faire de cette transition une réussite collective. Sur le plan juridique et institutionnel, il appelle à une révision des statuts de certaines zones, notamment les zones militaires, afin de libérer le potentiel des régions enclavées et leur permettre d’accueillir des projets énergétiques d’envergure. Il insiste également sur la nécessité de clarifier les cadres législatifs et d’adapter la réglementation aux mutations du secteur, en amorçant un dialogue national autour d’une loi dédiée à la transition énergétique.
La gouvernance et la communication apparaissent, elles aussi, comme des piliers fondamentaux. La transparence doit devenir la pierre angulaire de cette transformation, garantissant à chaque citoyen un accès libre aux données énergétiques et ouvrant la voie à un débat public véritablement inclusif. La transition énergétique n’est pas qu’une affaire d’ingénieurs et d’experts : elle est avant tout une affaire de société, où chaque voix compte et chaque initiative mérite d’être entendue.
Le développement local se trouve, lui aussi, au cœur des préoccupations. Kébili et Tataouine, terres d’énergie et de résilience, sont appelées à devenir les phares de cette mutation. Dotées d’un ensoleillement exceptionnel et d’un vent généreux, ces régions ont tous les atouts pour devenir des pôles d’excellence en matière d’énergies renouvelables. Mais pour transformer ce potentiel en réalité, il est impératif d’accompagner les jeunes entrepreneurs, de faciliter l’investissement local et de créer un écosystème où l’innovation peut éclore et prospérer.
Enfin, la société civile, vigie et actrice du changement, doit être dotée des moyens nécessaires pour jouer pleinement son rôle. Le renforcement des capacités associatives et la formation d’experts locaux sont autant de leviers qui permettront de traduire l’élan actuel en actions concrètes et durables. Car une transition énergétique juste ne peut exister sans la mobilisation de toutes les forces vives de la nation.
Cette rencontre, au-delà des discours et des engagements, marque un tournant. Elle pose les bases d’une gouvernance énergétique repensée, plus transparente, plus participative, plus humaine. Elle ouvre une brèche vers un avenir où la lumière qui éclaire nos foyers sera aussi celle qui guide une Tunisie en quête de durabilité et d’équité. L’énergie n’est pas seulement une ressource : c’est un lien, un souffle, un mouvement qui doit porter tout un pays vers des lendemains plus lumineux.
Mona BEN GAMRA