De l’introduction de cette boisson au XVIIe siècle à la nouvelle culture café, l’expert en tourisme culturel, Rached Khayati a raconté la relation passionnelle entre le tunisien et le café , lors d’un débat organisé sur l’histoire du café , de ses origines jusqu’à son arrivée en Tunisie à l’occasion de l’ouverture du festival international du thé et du café à Nabeul « La passion des Tunisiens pour le café n’est pas nouvelle. Cette boisson chaude et réconfortante fait partie intégrante de la culture tunisienne depuis des siècles. Elle est présente dans toutes les occasions sociales, des réunions de famille aux discussions entre amis.Le café est également un élément important de l’hospitalité tunisienne, souvent offert aux invités comme signe de bienvenue.Les chiffres confirment l’amour des tunisiens pour le café.
En effet, avec une consommation annuelle moyenne de 2.2 kg par habitant classe la Tunisie au 6éme rang des pays africains en termes de consommation de café, affirme Rached Khayati, « Le café est originaire d’Ethiopie où il serait consommé depuis la Préhistoire. Les arbustes poussaient sauvagement. Selon la légende, un berger a remarqué l’effet tonifiant de ses grains sur les chèvres. Ses arbustes furent appelés K’hawah, qui signifie revigorant en arabe. Commence alors la consommation des feuilles de café en décoction, avant d’arriver à l’utilisation de ses grains. Au XIe siècle, Avicenne, médecin et philosophe persan, dans le «Canon de la médecine», vante les vertus médicinales du café qui guérit tous les maux: des douleurs aux oreilles jusqu’aux problèmes de foie.
Le café a été consommé à la Mecque à la fin du XVe siècle, dans des espaces appelés buyût al-kahwa (maisons du café). Puis il est arrivé dans les pays arabes par les pèlerins qui repartaient de la Mecque avec ce précieux produit qui leur donnait de l’énergie pour leur long voyage.Petit à petit, il entré dans les mœurs des arabes. L’empire ottoman qui colonisait la Syrie et l’Egypte, l’introduit en Turquie. Au XVIe siècle, furent ouverts les premiers débits de café à Constantinople (Istanbul), devenus un lieu de rencontre pour les amateurs de plaisir mais aussi pour quelques beaux esprits littéraires. Les cafés prennent alors le nom de mektebi ‘irfan (écoles de la connaissance) .
Le café introduit par Abou Alhassen Chedli à Tunis
A Tunis, le café a été, selon les chroniqueurs de l’époque, introduit par Aboulhassen Chedli (1196-1258). Ce saint homme était un ascète dont les disciples ont créé la zaouia de Sidi Belhassen Chedly qui se trouve sur les hauteurs du Djellaz. Ce serait Sidi Belhassen qui aurait introduit le rituel du café en Tunisie. En effet, on rapporte que les infusions de café permettaient aux disciples du saint personnage de veiller tard la nuit et poursuivre leurs cycles de prières nocturnes. D’ailleurs, aujourd’hui encore, on utilise le terme de « chedlia », issu du nom du saint homme, pour désigner un café. Il existe depuis toujours un rituel à la zaouia de Sidi Belhassen, selon lequel on se réunissait la nuit du vendredi pour « kahouet essebt » ( le café du samedi). C’est ce rituel et ce lieu qui nous ménent à émettre l’hypothèse que le premier café au monde se trouvait à Tunis, en ce lieu où se réunissaient Sidi Belhassen et ses disciples. Ce café daterait ainsi des années 1240 ! Hormis ce sanctuaire historique, les cafés de Tunis ont surtout vu le jour à l’époque ottomane. Ces cafés maures étaient à l’origine tenus par des militaires turcs. C’est Youssef Dey et son ministre Ali Thabet qui firent construire les premiers cafés de la médina de Tunis. L’un de ces cafés se trouvait dans le souk des Bchamquiya (chausseurs qui fabriquaient des babouches à la mode turque), aujourd’hui disparu et qui se trouvait à la rue Ben Ziad, non loin de la mosquée Youssef Dey et a été construit autour de 1615. L’autre café qui lui est contemporain, existe encore. Il s’agit du fameux Café Mrabet qui a été créé par Ali Thabet au souk Ettrouk. Ce café a porté ce nom depuis sa fondation. En ce sens, il existait en 1849 un amine des kahouagias alors que les registres fiscaux de cette même année mentionnent l’existence de 99 cafés dans la médina de Tunis et ses faubourgs.
Le rituel du café en Tunisie
En Tunisie, le café est bien plus qu’une simple boisson; c’est un véritable art de vivre. « Chaque tasse de café, qu’elle soit préparée à la maison, dans un café local ou dans un grand restaurant, raconte une histoire de traditions ancrées profondément dans la culture marocaine. Depuis des siècles, les tunisiens partagent des moments autour de cette boisson, que ce soit pour discuter des affaires quotidiennes, pour accueillir des invités ou pour célébrer des occasions spéciales. Parmi les méthodes de préparation traditionnelles, le café turc, ou « café oriental », est sans doute la plus emblématique. Préparé dans une petite cafetière en cuivre appelée « Zizwa » le café est moulu très finement et mélangé à de l’eau et parfois du sucre, avant d’être chauffé lentement. Cette méthode donne un café fort et aromatique, avec une texture veloutée. Les grains utilisés pour cette méthode sont souvent d’origine arabica, appréciés pour leur douceur et leur complexité aromatique » a expliqué Rached Khayati . Les cafés en plein air sont une autre composante essentielle de la vie tunisienne.
À chaque coin de rue des villes, ces cafés sont des lieux de rencontre incontournables. Les gens s’y retrouvent pour savourer une tasse de café, souvent accompagné de pâtisseries, tout en échangeant des nouvelles ou simplement en regardant passer le monde.Les cafés tunisiens se distinguent aussi par leurs saveurs uniques. Les grains sont souvent torréfiés avec des épices comme la cannelle ou la cardamome, ajoutant une dimension aromatique qui transporte immédiatement les sens. Cette pratique est particulièrement répandue dans les régions où les influences arabes sont plus prononcées, créant une palette de saveurs riche et diversifiée que l’on retrouve dans chaque tasse de café tunisien. En Tunisie, le café est bien plus qu’une simple boisson; c’est une expérience culturelle profondément ancrée dans le quotidien. Parmi les différentes sortes de café disponibles, les plus populaires restent le café moulu et les capsules. Les amateurs de café peuvent choisir entre de nombreuses options selon leurs préférences personnelles. « Le café traditionnel, souvent préparé avec des grains d’Arabica et de Robusta, est une véritable institution. Outre les options traditionnelles, le Moka et l’espresso sont également de plus en plus populaires. Les cafés tunisiens commencent à introduire des mélanges exotiques provenant de pays comme la Colombia et le Costa Rica. La tendance est à l’expérimentation des saveurs tout en gardant une intensité particulière au café tunisien Une autre tendance notable est l’importance accordée aux grains de café fraîchement moulus. De nombreux connaisseurs préfèrent acheter du café en grains et le moudre eux-mêmes à la maison à l’aide de moulins à café manuels ou électriques. Cette pratique permet de préserver les arômes et les saveurs, offrant ainsi une tasse de café plus riche. » a noté Rached Khayati
La Tunisie regorge de cafés qui captivent les amateurs de cette boisson. Que votre préférence aille à un espresso corsé ou à un café aromatique fait à base de grains arabica de haute qualité, vous trouverez facilement un endroit où savourer votre tasse de café. Parmi les cafés les plus connus sont Café taht Essour, Chawachine, El Mrabet, Tourbet El Bey à la Médina de Tunis, Safsaf à la Marsa, Ali Baba à Ibn Khaldoun, Café des nattes à Sidi Bou Said, café Sidi Bouhdid à Hammamet, les cafés chantant de Bab Souika, Café Sidi Amara à Halfaouine, chemataou à Bab Djedid, l’Univers, le coq d’or du grand boxeur Sadok Omrane, café de Paris à l’avenue Habib Bourguiba,
Les principaux torréfacteurs en Tunisie
La famille Ben Yedder s’est lancée dans la torréfaction du café depuis 1888 dans une épicerie à la rue de Normandie à Tunis. Au début du siècle dernier, l’unité de torréfaction a pris demeure à la rue La Valette, derrière le marché central; la torréfaction du café se faisait alors d’une manière artisanale.Ce n’est qu’en 1934 que Feu Brahim Ben Yedder a créé la société Cafés Ben Yedder, dont le siège était au 12, rue El Jazira Tunis avant d’être transféré au 07, avenue Dag-Hammarskjöld le 31 octobre 1988. La société Cafés Bondin a été fondée en 1910 par Henri BONDIN. Le travail, l’audace et l’innovation ont permis à Cafés Bondin de devenir rapidement le leader du café en Tunisie. Cette marque s’est notamment illustrée par l’introduction en Tunisie de nouvelles variétés de café venant des meilleurs terroirs de par le monde.Cette saga s’est poursuivie après la vente de la société en 1964 à la famille Ben Yedder autre acteur majeur du café en Tunisie. Depuis 1934, l’entreprise CAFES Ellouze s’est spécialisée dans la torréfaction et la distribution du café sur de riches gammes de café de diverses provenances, elle a misé sur la qualité de ses produits et services afin d’offrir un café de grand caractère et accorder à ses consommateurs des moments privilégiés. Un 4éme torréfacteur c’est Ben Gaid Hassine. Fondée en 1900 par Mohamed Ben Gaid Hassine, la société Ben Gaid Hassine est installée à Bizerte.
Le café, un trésor de bienfaits pour la santé
Le café, ou qahwa, explique Rached Khayati, est une boisson appréciée partout dans le monde pour son goût et ses propriétés stimulantes. En plus d’être consommé pour le plaisir, il contient des nutriments tels que les vitamines B2, B5 et B3, ainsi que des antioxydants. Le café, avec une teneur élevée en acide chlorogénique, est aussi riche que le thé vert en polyphénols et joue le rôle protecteur des cellules et membranes contre le vieillissement cellulaire.La caféine agit comme un stimulant pendant les activités physiques en favorisant l’accroissement du flux sanguin, ce qui est bénéfique notamment pour les sportifs. Elle est également utile dans des situations nécessitant une vigilance accrue, comme les longs trajets en voiture ou les soirées festives animées.En dehors du plaisir gustatif qu’il suscite, la caféine lui donne un effet psychostimulant et permettrait de lutter contre les états dépressifs. Le moment convivial autour du café apporte une sensation de bien-être grâce au partage.Le café, en raison de sa faible teneur en calories, peut contribuer de manière modeste à la combustion des graisses. La caféine est suggérée pour avoir des effets sur les tissus adipeux en favorisant la libération des graisses stockées (lipolyse) et pourrait agir comme un léger coupe-faim.Très diurétique, le café est également réputé pour améliorer le transit intestinal.Comme de nombreux produits tels que le chocolat, l’arôme joue un rôle majeur dans le plaisir ressenti lors de la dégustation de la boisson. C’est ce que l’on perçoit au premier abord. Il est estimé qu’il existe au moins huit cents composés chimiques différents dans le café.
Bientôt des circuits touristiques pour déguster le bon café
Les cafés historiques préservés ont survécu aux guerres et aux changements sociaux majeurs. Ils présentent un riche patrimoine matériel, et offrent une abondance de styles architecturaux, du néo-baroque à l’art nouveau, en passant par l’art déco et la naissance du modernisme. Ils sont également dépositaires d’un patrimoine immatériel faisant pleinement partie de la mémoire collective de l’histoire tunisienne. Ces cafés historiques sont des lieux où nous pouvons encore aujourd’hui apprécier les traditions et pratiques de la consommation de café, de sa préparation à son service, et déguster les produits associés tels que gâteaux et pâtisseries locaux. L’idée comme l’a précisé est de créer des circuits touristiques pour découvrir ces endroits, a précisé la fondatrice de Saveurs de mon Pays, Latifa Khairi, « La Route des cafés historiques offre au voyageur la possibilité de remonter le temps, profitant de l’opulence de cafés développés à leur âge d’or et en découvrant leur important rôle dans l’histoire culturelle de la Tunisie. À travers des événements, des performances et des activités artistiques, les touristes peuvent découvrir le rituel des cafés et comprendre la place qu’occupent ces lieux dans des paysages touristiques. Avant tout, ces cafés, en tant que sources de patrimoine vivant, perpétuent les traditions de la culture tunisienne du café » a-t-elle expliqué
Kamel BOUAOUINA