Par Slim BEN YOUSSEF
Il faut rappeler ceci : le savoir et le connaître s’opposent dans leurs fins. Dans la Grèce antique, un « pédagogue » était l’esclave chargé de conduire l’enfant d’un point à un autre dans la cité. Le mener d’un code (linguistique, scientifique) à une norme (sociale, politique). C’était la pédagogie de la polis, totalement à l’opposé de celle de la philosophie. Socrate en fut le martyr. Connais-toi toi-même ? Je pense, donc je suis, lui répondra Descartes, des siècles plus tard.
Ceci pour dire : l’Éducation en Tunisie est en crise. Depuis les années 90, réformes après réformes, nous avons voulu moderniser, structurer, optimiser. Mais au lieu d’élever les esprits, nous avons enfermé l’apprentissage dans des carcans rigides qui étouffent la pensée critique et la créativité. Il est temps de repenser l’École, non comme une fabrique à diplômés adaptables, mais comme un espace de connaissance véritable, où le savoir devient une expérience émancipatrice et non une simple accumulation de données inertes. Cela passe avant toute chose par une refonte de la méthodologie pédagogique. L’apprentissage ne doit plus être une simple ingestion d’informations. Il doit former des esprits capables d’analyser, questionner et reconstruire le savoir. Il doit devenir une expérience de découverte, un dialogue permanent entre l’enseignant et l’enseigné. Encourager la réflexion critique, favoriser l’autonomie intellectuelle, donner à nos enfants la liberté d’expérimenter et de douter, mais aussi aiguiser leur inventivité, leur créativité et leur faculté d’imagination : voilà les piliers d’une réforme véritable.
Nous devons aussi questionner le rôle de l’évaluation. L’obsession des notes et des classements ne mesure ni l’intelligence ni la compréhension. Il faut des mécanismes plus souples qui valorisent la pensée originale et l’engagement personnel. L’échec ne doit pas non plus être une condamnation, mais une étape de l’apprentissage. Surtout, l’éducation doit être en prise avec le réel. Il faut ouvrir l’école au monde, permettre aux élèves de confronter leur savoir à la société, à l’histoire, à la culture, à la technologie. L’enseignement doit cesser d’être une bulle déconnectée de la vie et des mutations accélérées de notre époque.
Il est urgent d’opérer une rupture. D’autant plus que la vision réformiste de l’École s’inscrit dans une longue tradition de la pensée tunisienne : de Kheireddine Pacha à Mohamed Talbi en passant par Tahar Haddad, pour ne citer qu’eux. L’immense Ibn Khaldoun en est déjà le précurseur : il refusait une éducation qui formate au lieu d’éveiller l’esprit.
Réformer aujourd’hui l’Éducation, ce n’est pas seulement réécrire les programmes, c’est changer radicalement notre vision du savoir. Il ne faut plus former des individus automatisés et adaptables, mais des esprits libres et critiques.
L’École doit devenir un espace de résistance contre l’uniformisation et la pensée automatique. Autrement, nous continuerons à produire des générations qui savent sans connaître.