Par Hédi CHERIF (sociologue)
Prise dans le tourbillon du fleuve du devenir historique, la société tunisienne continue à subir de profonds changements socio-culturels. Elle est même à la recherche d’un mode de fonctionnement sociétal permettant aux couples tunisiens de construire un ‘’ Nous conjugal ‘’ dans leurs familles.
En l’absence d’un maillon conjugal qui tarde à être réellement tissé de part et d’autre, la relation homme/ femme semble encore être menacée pour des considérations multiples. D’une part les femmes considèrent qu’à ce jour beaucoup de leurs acquis constitutionnels ne sont qu’un’’ antalgique, qui gomme le symptôme de la douleur et qui fausse le diagnostic ‘’, sinon comment expliquer, que malgré leurs multiples performances et leur remarquable supériorité, quantitative et qualitative dans les différents domaines ,elles continuent à être socialement et professionnellement défavorisées voire même sous estimées et dénigrées dans une culture sociale masculine encore dominante. Les exemples sont à ce titre multiples.
_ 6/7 lauréats au bac de la session principale de juin 2024 sont des filles
_ 88% de candidats admis au concours de résidanat en médecine sont de sexe féminin.
_45% du corps judiciaire en Tunisie sont des femmes
_ 90% de candidats admis en licence et en master de droit privé et public sont de sexe féminin
_ 9 /17 nouvelles nominations de professeurs chefs de services en médecine toutes spécialités confondues , sont de sexe féminin. ( JORT du 5 /1/2024 )
_ 63% du nombre total des étudiants, sont de sexe féminin dont 67% des diplômées, n’occupent que 15% des postes clés dans les secteurs publics et privés .selon un rapport de l’union européenne sur l’égalité hommes/femme 2014
A ce titre les femmes sont aujourd’hui, plus que jamais déterminées à quitter leur état ‘’ d’artisan de leur propre domination ‘’ pour figurer au titre d’actrices dans l’histoire de leur pays , alors que les hommes si éclairés soient-ils, et malgré la persistance de leur suprématie masculine véhiculée , voire même légitimée par un consensus social sur lequel aucune thérapie, et aucune loi ne peut agir réellement, vivaient depuis la promulgation du code de statut personnel de la femme en date du 13 Aout 1956, un état de fragilisation de leur masculinité. Adnène Khaldi , psychologue clinicien , parlait même, dans une de ses publications, d’un ‘éveil de la féminité et d’une crise de la masculinité) . Etant encore tiraillés entre ‘’l’être ‘’et le’’ paraître ‘’ les hommes peinent à quitter leur bipolarité culturelle, pour s’engager réellement avec leurs conjointes dans une dynamique positive et constructive au plan conjugal, social et professionnel. Si les hommes ont le pouvoir, les femmes si dominées soient- elles, préservent et maîtrisent l’art de la puissance ! N’est-il pas grand temps de remettre ‘’ Pouvoir et Puissance ‘’ à la bonne fréquence ?
Le processus libératoire de la femme tunisienne remonte à plus d’un siècle. Abdelaziz Thaâlbi, Tahar Hadded, Habib Bourguiba, et bien d’autres, ont beaucoup œuvré pour que la femme longtemps considérée l’être de l’intérieur , devienne égale à l’homme, et au même titre que lui, actrice dans l’histoire de son pays .L’opposition de nos femmes en 2012 / 2013 au projet islamiste discriminatoire , visant à faire de la femme un complément de l’homme, et qui fut vite retiré et remplacé par celui du principe de l’égalité de genre confirme bien l’éveil conscient du féminin sacré. Le projet de la ‘’ Colibe ‘’, le 13/08/2017 concernant le droit à l’égalité dans l’héritage entre les deux sexes, demeure encore avec d’autres projets ,une priorité dans le collimateur des mouvements féministes .
A ce sujet le philosophe et islamologue Youssef Seddik, notait dans son livre ’’La révolution inachevée ‘’ : « Eux, ils croient qu’aimer , c’est mal. Nous, nous croyons que rien ne mérite de livrer un combat si ce n’est pour l’amour, et donc hors de toute violence. Eux, ils prétendent que le corps de la femme est un fardeauqu’elle se doit de porter dans la honte, Nous , nous croyons que les femmes, sont les seules maitresses de leurs corps. Eux, ils considèrent que la femme est le complément de l’homme , nous , nous croyons qu’elle est bien égale, étant mère, sœur, épouse, collègue, elle est au même titre que l’homme, actrice dans l’histoire de son pays »
Nombreux sont parmi nous, qui jettent l’éponge devant la suprématie de l’androcentrisme socioculturel , et se contentent de penser à l’ordre du destin ou de la création, laissant‘’ Dieu’’ seul responsable de cet ordre des choses . D’autres, pensent que c’est la position la plus faible, puisque par ignorance des visages invisibles de cet androcentrisme socioculturel , dans un consensus social, bourré de dogmes, de tabous, d’injustices et d’inégalités à l’égard des femmes, on impute cette même ignorance qui est seulement la nôtre à un principe extérieur le ‘’ destin ‘’ principe, qui par définition échappe à toute responsabilisation. Comment briser la relation de notre familiarité trompeuse qui nous lie à cet héritage socioculturel androcentrique et à cette pseudo suprématie masculine , afin de se pencher sur les vecteurs de reproductions ( Famille, Mosquée, école, Etat ), qui ne cessent d’arracher à ‘’ l’histoire sa propre historicité ‘’ ? Comment ‘’ Remettre les pendules à l’heure de vérité, de justice et d’égalités , entre féminin / Masculin ? N’est-il pas grand temps de repenser la relation homme /femme dans une logique fédératrice où chacun d’eux œuvre pour construire un ‘’ Nous conjugal ‘’ assurant un meilleur bien être psychosocial à tous et à toutes !
A mon sens, je dirais qu’aucune créature ne peut voler avec une seule aile , l’art de conduire harmonieusement les sociétés se situe à la croisée du féminin et du masculin, se sont les deux ailes qui permettent à la famille tout comme au corps social de s’élever.