Par Slim BEN YOUSSEF
Le défunt pape n’était pas un pape comme les autres. On doit le commémorer. Les Sionistes ne le portaient pas dans leur cœur. Et rien que pour cela, on doit l’encenser. Papa Francesco tire sa révérence comme il a vécu : aux côtés des assiégés. Quelques heures avant sa disparition, lors de la bénédiction pascale, il appelait une dernière fois à sauver Gaza. Durant dix-huit mois, sa voix n’a cessé de se dresser contre l’horreur, contre l’atrocité. Il a pleuré sincèrement Gaza quand d’autres comptaient les missiles. Il a parlé de génocide, de cruauté, et d’un monde qui perdait à la fois ses repères et ses enfants.
Surtout, il appelait chaque jour Gaza — pour bénir les âmes, et soutenir les vivants. Il appelait tous les soirs à 20h, heure de Palestine. « On lui a tous parlé à tour de rôle ». Un coup de fil quotidien. Un seul geste. Mais tout y était.
En Tunisie, au Chili, en Afrique du Sud, à Cuba, en Palestine — dans le Sud global, cette fidélité ne passait pas inaperçue. Elle entrait en résonance avec une mémoire partagée. Avec une blessure ancienne. Elle disait l’essentiel : que l’Évangile, pour lui, ne valait rien s’il ne savait pas se faire chair dans le martyre des vivants.
Il était venu d’en bas. De Buenos Aires, du tumulte des bidonvilles, de cette Amérique latine où l’on apprend à dire Dieu au pied des croix inclinées, entre pauvreté et tendresse. Son élection, en 2013, avait surpris les puissants. Elle fit trembler l’histoire : Rome n’avait plus élu de pape non européen depuis plus de douze siècles.
François n’a pas régné, il a décentré. Il a déplacé le cœur de Rome vers les périphéries. Le « pape des périphéries », c’est l’expression qu’il revendiquait lui-même. À quoi nous ajouterions : le pontife ami de la Palestine, le chef de l’Église au cœur africain, le pasteur des Suds, le défenseur des oubliés, le bâtisseur de ponts avec les opprimés.
François n’a pas réformé l’Église au marteau. Il l’a fissurée de l’intérieur, non par fracas, mais par déplacement. Par des gestes discrets, par des voyages — à Bangui, Kinshasa, Bagdad, La Havane : là où l’on souffre sans audience. Sa géopolitique fut celle du cœur plutôt que du calcul.
Il parlait aussi football — car le football est, lui aussi, un langage des Suds. Il évoquait Maradona comme une révolte. Un dribble contre l’humiliation. Là encore, il disait l’Évangile à sa manière : avec des corps cabossés, des gestes de grâce, et des gamins qui rêvent pieds nus.
Discrètement, la Tunisie habitait aussi ses pensées. Il avait accepté d’y venir. Le projet est resté en suspens, mais présent à son esprit. Il a confié Tunis à un archevêque fidèle à son souffle. Et, en 2023, dans sa bénédiction pascale, il a nommé notre jeunesse : ses douleurs, son espérance.
Aujourd’hui, Rome est orpheline d’un homme qui dérangeait sans hausser le ton. Mais le Sud, lui, gardera son écho. Car il reste cette voix — vox clamantis in deserto — une voix qui résonnait dans les lieux de l’oubli. Elle n’a pas renversé l’ordre. Mais elle a déplacé l’horizon. Peut-être suffit-il parfois de cela, pour réformer le monde.