Prisé par les parfumeurs du monde entier, le bigaradier de Nabeul livre ses précieux boutons au mois d’avril, lors d’une récolte où les senteurs entêtantes atteignent leur paroxysme à la fin de la cueillette. Réputée autant pour sa beauté que pour son parfum, la fleur d’oranger — le zhar — règne sans partage sur les vergers de Nabeul, Dar Chaâbane et Beni Khiar.
Cultivée en intercalaire, cette plante exigeante en eau et en intrants mobilise de nombreux agriculteurs. Mais une transition est à l’œuvre : la production devient progressivement plus durable, avec une attention croissante portée à la réduction des pesticides et à une gestion responsable de l’eau. Les producteurs sont ainsi encouragés à adopter des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
Du 25 au 27 avril, Nabeul vibrera au rythme de son Festival de l’eau de fleur d’oranger bigaradier, organisé à Dar Nabeul (dans la médina), par l’Association de Sauvegarde de la Ville de Nabeul (ASVN). Au programme : expositions-ventes, ateliers thématiques sur les produits dérivés, dégustations de boissons, plats salés et sucrés à base de fleur d’oranger.
La campagne bat son plein. Dans les champs, hommes, femmes et enfants cueillent à la main les fleurs écloses ou les boutons fermés. Une tradition vieille de plus de 150 ans. Chaque visiteur redécouvre ce patrimoine vivant qui façonne l’identité locale. Symbole de la ville, la fleur d’oranger est aussi la protagoniste de la Fête des roses, célébration de la culture, des métiers et des savoir-faire nabeuliens.
La récolte, pénible, exige doigté et endurance. Si la fleur est belle, elle est féroce : ses épines lacèrent les mains. « On gagne juste de quoi vivre », confie Fatma, les mains gantées. Dès l’aube, il faut six heures pour remplir les sacs que les femmes transportent sur leur tête jusqu’à la pesée. Ce travail saisonnier, étalé sur un mois, constitue une source de revenus vitale pour bien des familles.
Mais cueillir ne suffit pas. Il faut ensuite distiller. Une opération de longue haleine, menée dans l’intimité des maisons par les mères et les grands-mères. Réunies autour de l’alambic, elles dosent fleurs et température avec précision. Deux kilos de fleurs donnent une fiasque d’eau distillée de premier choix, et une bouteille de second choix. Conservée dans l’obscurité durant quarante jours, cette fechka rejoint ensuite les rayons. Dans les distilleries industrielles, c’est le néroli que l’on extrait — cette essence rare qui entre dans la composition des plus grands parfums, vendue jusqu’à 10 000 euros le kilo.
Tonique, antidépressive, hypotensive, le néroli soigne les nerfs comme la peau, le cœur comme le foie. Et s’il soigne les corps, il soigne aussi les mémoires. Car derrière chaque flacon se tient une histoire, une tradition, un peuple à l’œuvre.
Kamel BOUAOUINA