Depuis les années 1960, le tourisme tunisien s’est développé en un produit balnéaire de masse. Dans les années 1990, avec le changement de la demande, la Tunisie commence à subir l’image d’une destination touristique « bon marché » ce qui a influencé les performances du secteur et sa résilience face à la crise. Mais ce marché touristique a connu ces dernières années une transformation majeure : le passage du modèle traditionnel basé sur les tour-opérateurs (TO) et les vols charters vers un modèle totalement digitalisé, centré sur le package dynamique. Ce dernier donne au client un contrôle total sur la composition de son séjour, en fonction de la visibilité des offres affichées sur les moteurs de recherche spécialisés (vols, hébergements, packages). Ce bouleversement structurel, désormais bien établi, a un impact direct sur la compétitivité de la destination qui compte atteindre 11 millions de visiteurs et comme a souligné Hakim Tounsi, le PDG du Tour-opérateur français Authentique « Cette reconversion implique une révision en profondeur de l’approche commerciale, des partenariats et des actions marketing à mettre en œuvre à court, moyen et long terme. Les réflexes hérités du modèle TO-charter ne peuvent plus produire les effets escomptés. À l’heure du digital, la réactivité, la lisibilité et la visibilité deviennent des éléments déterminants pour attirer le voyageur »
Régulation du trafic aérien estival
Le pic de trafic aérien entre la France et la Tunisie en juillet-août, principalement dû au retour estival des Tunisiens Résidant à l’Étranger (TRE), entraîne une flambée des prix des billets. « Cette situation, explique Hakim Tounsi, bloque l’accessibilité tarifaire pour la clientèle touristique classique et fausse les équilibres du marché, notamment dans le cadre du package dynamique, où le prix aérien est un élément déterminant du prix final. Par ailleurs, les données du marché montrent un essoufflement préoccupant du rythme des réservations à mesure que l’on s’approche de la haute saison. Alors que la Tunisie a enregistré une progression remarquable de +23% des réservations entre le 1er janvier et le 31 mars 2025, cette dynamique risque de s’estomper fortement à cause de la hausse des prix des billets d’avion durant l’été. Déjà observé en 2023 et 2024, ce ralentissement devient structurel. Il appelle une réponse durable, combinant accessibilité tarifaire et régulation stratégique du marché. Et là ,il faudrait rétablir un équilibre de marché sans recourir à des subventions, en absorbant une part significative du trafic des Tunisiens résidents à l’étranger , afin de libérer de la capacité tarifairement stable pour le tourisme international. La solution envisageable est de mettre en place, via Tunisair, une capacité exceptionnelle en ACMI (location d’avions avec équipage) sous forme de gros porteurs (550 sièges minimum) opérant quotidiennement pendant une semaine début juillet (grands départs), et pendant une semaine fin août (grands retours), sur les axes les plus tendus (Paris-Tunis, Paris-Monastir, Paris-Djerba). Tunisair a testé avec succès ce modèle en 2006 avec un Boeing 747 de Qatar Airways. »
Maintien d’une capacité charter complémentaire pour soutenir le modèle traditionnel du tour operating
La fin du modèle du tour operating classique au départ du marché français est survenue suite à l’adoption par les compagnies aériennes françaises dominantes de la stratégie commerciale sans commercialisation de charters. « La restructuration de l’espace aérien français a été opérée au détriment d’un grand nombre de compagnies privées qui proposaient des vols charters aux tour-opérateurs, pour ne garder que le groupe Air France associé au Groupe KLM, en compétition avec les autres compagnies régulières et low cost d’Europe et du reste du monde. À partir de ce moment, il est devenu de plus en plus difficile aux tour opérateurs français de se fournir en vols charters français. Cependant, des destinations touristiques européennes comme les Canaries, la Grèce, la Croatie, l’Albanie, le Monténégro ou les Baléares continuent à recevoir massivement des vols charters affrétés par les TO avec des avions des pays de l’Europe de l’Est (République Tchèque, Pologne, Malte, Moldavie). Ces compagnies, bien qu’ayant le droit de transporter des passagers au départ des aéroports français dans le cadre de l’Open Sky européen, ne peuvent pas desservir la Tunisie tant que celle-ci n’a pas appliqué l’Open Sky. » explique Hakim Tounsi
« La solution intermédiaire, ajoute t-il, c’est de tolérer la cinquième liberté aérienne .Cette solution serait de tolérer la cinquième liberté pour tous les avions affrétés par des tour opérateurs français vers et au départ de la Tunisie. Cela permettrait, par exemple à un avion polonais, après avoir débarqué ses passagers à Djerba, de faire un aller-retour Djerba-France, à un avion tchèque basé en France d’assurer des rotations régulières entre la France et la Tunisie. L’autorisation doit être accordée par l’OACA. Les compagnies aériennes doivent connaître les autorisations bien en amont pour intégrer la Tunisie dans leur planification. L’Objectif global est de restaurer une dynamique de croissance durable en conjuguant accessibilité, visibilité et prescription. Cette stratégie est pragmatique, financièrement réaliste, et immédiatement actionnable. Plusieurs avantages sont attendus notamment la remise en circulation de capacités charter sans attendre l’Open Sky, le maintien de la destination Tunisie dans les réseaux d’agences traditionnelles contrôlées par les tour opérateurs référencés, la maximisation du potentiel de clients en individuels et en groupes, -la flexibilité accrue pour les saisons de pointe. La Tunisie pourrait ainsi adopter un modèle hybride : un Packaging dynamique connecté aux stocks des compagnies régulières et low cost et un soutien ponctuel par des affrètements charters pour maintenir des volumes élevés en haute saison ».
Création d’un fonds de soutien à la connectivité touristique (FSCT)
La Tunisie souffre d’une connectivité aérienne limitée, en particulier vers ses régions intérieures (Tozeur, Tabarka, Gafsa, Gabès). Cette situation freine l’investissement et limite le développement touristique régional. « Dans un contexte post-crise (2011, COVID-19) et de contraintes budgétaires fortes, précise Hakim Tounsi, le recours à des financements extérieurs s’impose. L’objectif du FSCT est de mettre en place un mécanisme de cofinancement public-privé pour accompagner l’ouverture, le maintien et la promotion de liaisons stratégiques vers les aéroports secondaires tunisiens, en lien avec le développement économique local et durable. Le projet FSCT s’intègre dans une logique de développement durable, inclusif et régionalisé. Il répond aux priorités des bailleurs : réduction des inégalités régionales, création d’emplois, soutien aux infrastructures touristiques, coopération internationale et euro-méditerranéenne, désenclavement des régions touristiques, création d’emplois, diversification de l’offre et amélioration de l’image de la Tunisie comme destination durable. » Mais faut-il désenclaver certaines régions inexploitées comme Tabarka et Tozeur ? « Aujourd’hui , note Hakim Tounsi, Transavia opère aujourd’hui deux liaisons hebdomadaires entre Paris et Tozeur. C’est un début, mais insuffisant pour enclencher une dynamique. Historiquement, Lyon et Nice assurent jusqu’à 4 rotations hebdomadaires. Une dizaine d’hôtels à Tozeur restent fermés. Nous proposons un programme intégré combinant avec la relance de la connectivité aérienne (Paris, Lyon, Nice), la réactivation des réouverture d’hôtels (mise aux normes, relance RH et marketing), et une coordination ONTT / opérateurs privés pour garantir la cohérence de l’offre »
Repenser la visibilité touristique tunisienne à l’ère digitale
S’il y a un secteur dans lequel le digital a un rôle très important à jouer, c’est bien celui du tourisme. Le comportement des touristes à travers le monde a connu une grande mutation avec l’utilisation plus fréquente des supports digitaux. Aujourd’hui, plus de 60% des voyageurs utilisent des supports digitaux pour acheter des produits touristiques. Le package dynamique s’impose : le client construit son séjour en ligne, selon les résultats affichés par les moteurs. Pour exister, il faut payer de la visibilité digitale. « Un constat alarmant au courant de mars 2025, Booking.com n’a référencé aucune ville tunisienne dans son Top 10 des destinations plébiscitées sur son site pour Pâques 2025. La Tunisie a disparu des radars digitaux. Marrakech était classée première destination recherchée par les Français sur Booking.com. Financement de la communication : un vide Les TO financent entre 3 % et 6 % de leur CA en communication (18 M€/an pour la Tunisie). Qui prend le relais aujourd’hui ? Ni les compagnies, ni les OTA. Il faut bâtir de nouvelles alliances avec les OTA et les compagnies (Booking, Expedia, Transavia…). À ce titre, le partenariat signé en 2024 entre l’ONTT et Transavia mérite d’être apprécié avec discernement, compte tenu des limites d’engagement d’une compagnie privée opérant selon une logique strictement commerciale. Tozeur peut devenir un laboratoire de relance et de visibilité. Son expérience doit être rééditée à Tabarka .Le tourisme tunisien doit désormais jouer avec les nouvelles règles du marché digital. L’enjeu est clair : reprendre la main sur sa visibilité, son accessibilité, et ses relais de prescription. Cela suppose des mesures concrètes, concertées, et immédiatement opérationnelles » conclut Hakim Tounsi
Kamel BOUAOUINA