Par Raouf KHALSI
Le chiffre donne froid dans le dos. L’INS a au moins la vertu de la précision et de la transparence. Après 68 ans d’indépendance, le taux d’analphabétisme en Tunisie est de 17,3 %. Est-ce dû à la faillite de l’école où à des phénomènes socio-économiques, particulièrement dans les zones reculées avec des élèves acculés à la déscolarisation ? L’INS ne dit pas où sévit l’analphabétisme, parce que ce phénomène ne correspond pas à un découpage géographique précis : il est général. Et il interpelle les consciences tant il sonne comme une condamnation de l’Histoire.
Voilà un pays qui a tout misé sur l’enseignement à l’aube de l’indépendance sur la base de la gratuité et de l’obligation des parents d’inscrire leurs enfants à l’école. Même dans des bourgades où les enfants font quotidiennement des kilomètres à pied pour se rendre à l’école. On a pensé à généraliser l’enseignement, mais on n’a pas pensé aux mesures d’accompagnement de cette politique pourtant révolutionnaire en Afrique et dans le monde arabe.
Faillite de l’école, donc ?
Il est clair que l’école à papa a rendu l’âme depuis belle lurette, tant sur le plan pédagogique que sociétal. Elle est, pour ainsi dire, déclassée tandis que s’insinuait subrepticement un enseignement à deux vitesses : ceux qui ont tout pour aller jusqu’au bout du processus éducationnel, et ceux qui n’en ont pas les moyens et qui en sont réduits à ce qu’on appelle des « déchets scolaires ».
Sans doute les disparités régionales et les souffrances des enseignants (ce sont des militants surtout dans les régions défavorisées) n’expliquent-elles pas tout. Ce taux d’analphabétisme sonne aussi comme une sentence : quelque part, on ne croit plus à l’école, supposée être le tremplin de l’ascenseur social. Et, à supposer même que le processus arrive à terme, on a du mal à recenser le nombre de diplômés chômeurs, parce que le marché de l’emploi n’a rien pour eux. Dance cas, le processus est déjà compromis dès l’école.
Pour autant, un chiffre pourrait en cacher un autre. On annonce le taux d’analphabétisme, mais derrière le « cynisme » de ce chiffre, il y a à spéculer sur l’illettrisme et le nombre (important) d’illettrés dans le pays. Si l’on essayait de savoir combien de lettrés ont lu ne serait-ce qu’un seul livre dans leur vie, on irait droit vers d’incroyables surprises.
Trop facile de tout mettre sur le compte de l’école et sur les disparités sociales. Mais le fait est là : il n’y a plus d’aumône faite au savoir dans un contexte sociétal pour le moins dilué, où l’on se plait dans l’ignorance. La culture s’évapore, contredisant Françoise Sagan et sa fameuse phrase : « La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié ».