Par Slim BEN YOUSSEF
En mettant fin aux formes les plus cyniques de sous-traitance, la Tunisie accomplit un acte salutaire. La nouvelle loi redonne au travail sa fonction structurante. Elle protège. Elle pacifie. Elle permet de penser demain sans redouter ce soir. Il s’agit surtout d’un relèvement : des corps usés par l’intérim, des esprits fatigués d’espérer. Et puis, en assurant les siens, une société s’assure elle-même. Elle ne sauve pas des postes : elle sauve du sens. Elle ne perd rien à accorder de la stabilité ; elle y gagne un peu de noblesse. Et parfois même, un peu de grandeur. En préservant une cohésion, en prolongeant une espérance, elle maintient, en somme, une idée décente du progrès.
Qu’est-ce qu’un progrès social ? Une digue. Une dignité. Un pacte qui se régénère. Qui se recharge en énergie.
Mais ce progrès pourrait se figer s’il ignore ce qui change.
Le monde du travail mute. Silencieusement. Profondément. À la faveur des écrans, des plateformes et des crises. Le bureau se volatilise, le CDI se dématérialise, le travail s’externalise… depuis la chambre, le train, l’exil. On ne va plus au travail. Il nous suit. S’invite. Et parfois s’impose.
C’est un fait. Le télétravail, le freelancing, le nomadisme numérique sont devenus les visages ambigus d’une liberté fragile. Sans cadre, ils basculent vite dans l’auto-exploitation. Avec des règles claires, ils deviennent un levier d’attractivité, de souveraineté et de croissance.
Notre État a tout intérêt à adapter son code du travail pour le télétravail et le nomadisme numérique. À réinventer un cadre légal clair, à même d’organiser cette transition et éviter les zones grises juridiques, tout en étant de force à protéger les travailleurs, stimuler l’économie et conserver les talents.
Après tout, ceux qui créeront ce cadre aujourd’hui deviendront les pôles d’attraction de demain. Bien sûr, il n’est pas question de singer les modèles du Nord, mais d’inventer notre propre équilibre entre l’audace numérique et la protection sociale. C’est de faire en sorte que l’exil ne soit pas la seule option pour les esprits agiles.
Nous avons donc besoin d’un Code du travail qui protège sans freiner, qui encadre sans étouffer, qui suit les mutations sans s’y soumettre. Un Code capable d’englober la présence virtuelle, la mobilité physique, et l’instabilité assumée.
Autrement dit : un droit du travail à hauteur d’écran.