La Tunisie franchit un cap décisif dans l’histoire de son droit du travail. La loi n°9/2025 relative à l’organisation des contrats de travail et à l’interdiction du recours à la sous-traitance a été publiée au Journal officiel du 23 mai 2025 (JORT n°61). Adopté quelques jours plus tôt par l’Assemblée des représentants du peuple lors d’une séance plénière marquée par son intensité, le texte a recueilli 121 voix favorables, sans opposition et avec seulement quatre abstentions. Ce large consensus parlementaire traduit l’ampleur de la réforme engagée.
Le texte de loi, enregistré sous le n°16 de l’année 2025, constitue une véritable rupture avec les pratiques précaires qui ont marqué le paysage de l’emploi en Tunisie, notamment dans la fonction publique et les secteurs paraétatiques. Il consacre une série de mesures transitoires destinées à corriger les abus du passé, tout en engageant un changement structurel à long terme.
L’un des pivots de la réforme réside dans la requalification automatique des contrats à durée déterminée (CDD). L’article 6 stipule que tout CDD ne répondant pas aux exceptions prévues par le Code du travail (article 6-4 nouveau) est désormais transformé de plein droit en contrat à durée indéterminée (CDI), sans considération de sa durée initiale ou du type de mission. Cette mesure s’applique aux contrats toujours en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, mais aussi à ceux rompus depuis le 14 mars 2025. L’ancienneté acquise sous CDD est intégralement reconnue, dès lors que la relation de travail n’a pas connu d’interruption supérieure à une année.
L’article 7 précise que les périodes d’essai prévues dans les contrats antérieurs à la loi restent valides, à condition de ne pas dépasser six mois.
Mais c’est surtout dans la fin du recours à la sous-traitance de main-d’œuvre que la loi frappe fort. L’article 8 acte l’intégration directe des travailleurs recrutés via des mécanismes de sous-traitance — désormais illégaux — ainsi que des agents contractuels des établissements publics à caractère industriel, commercial ou agricole. Cette intégration est effective dès l’entrée en vigueur de la loi, avec consolidation des droits liés à l’ancienneté, sous réserve d’une continuité contractuelle minimale.
Un mécanisme de régularisation automatique est par ailleurs prévu à l’article 9. Toute rupture de CDD intervenue entre le 6 mars 2024 et la promulgation de la loi, dans un contexte de sous-traitance ou de précarité, donne lieu à une intégration immédiate dans l’établissement d’origine dès lors que le salarié totalise quatre années d’activité. En cas de manœuvre dilatoire de l’employeur, une indemnité d’intégration équivalente à deux mois de salaire par année d’ancienneté pourra être exigée, dans un délai maximal d’un an.
Enfin, l’article 10 impose aux structures concernées une mise en conformité dans un délai de trois mois. Une échéance brève, à la mesure de l’urgence sociale.
Cette loi ouvre ainsi une ère nouvelle pour des milliers de travailleurs tunisiens, longtemps relégués dans la précarité contractuelle.