Par Dhouha Taliq
A Bagdad, journalistes et experts ont esquissé les contours d’un journalisme climatique plus humain, plus narratif, et plus enraciné dans les réalités arabes.
À la fin du mois de mai 2025, la capitale irakienne s’est transformée en un carrefour culturel et intellectuel pour les médias arabes. Surplombant la Place des Célébrations et le Monument du Soldat Inconnu, la salle de conférences d’un hôtel flambant neuf a accueilli plus de 150 journalistes, climatologues, communicateurs et chercheurs venus de tout le monde arabe et au-delà. Pendant cinq jours, ces acteurs se sont réunis autour d’un enjeu commun : repenser le rôle des médias arabes face à la crise climatique, non plus comme de simples relais d’information, mais comme des créateurs de récits engagés, accessibles et mobilisateurs.
Cette rencontre, la quatrième édition du Forum des Médias Arabes, organisée par l’Union des Radios des États Arabes, s’est tenue pour la première fois hors de Tunis, à l’invitation du Réseau des Médias Iraquiens. Du 20 au 24 mai, Bagdad a renoué avec sa tradition de pôle culturel et intellectuel, en devenant l’épicentre d’un débat essentiel sur la manière dont les sociétés arabes perçoivent et traitent les urgences climatiques.
L’urgence climatique racontée autrement
Le forum s’est inscrit dans le prolongement de la 34e session du Sommet arabe et du 5e Sommet économique et social. Il a résonné avec les défis environnementaux spécifiques à l’Irak, marqué par des années de conflit, de désertification et de catastrophes climatiques. Le contexte national, notamment l’initiative « L’Irak Vert » et la désignation de Bagdad comme Capitale du tourisme arabe pour 2025, a servi de toile de fond aux échanges.
Dans son discours d’ouverture, Abdel Karim Hamadi, président du Réseau des Médias Iraquiens, a souligné que les médias ne doivent plus se contenter d’être des vitrines d’événements, mais doivent devenir des partenaires du développement durable, capables de détecter les besoins, d’alerter sur les risques, et de favoriser la coopération régionale. Il a insisté sur le rôle central de l’Irak dans la revitalisation d’un paysage médiatique arabe plus engagé.
Mohamed Fahd Al-Harthi, président de l’Union des Radios des États Arabes, a rappelé que le changement climatique, souvent perçu comme une menace lointaine, est aujourd’hui une réalité concrète, responsable de millions de morts. Selon lui, les médias doivent urgemment adopter une approche plus empathique, plus pédagogique, et plus ancrée dans les histoires humaines.
Abdel Rahim Suleiman, directeur général de l’Union, a plaidé pour une transformation du langage médiatique autour de l’écologie. Il a appelé les journalistes à délaisser le jargon scientifique au profit d’une narration plus accessible et émotionnelle, qui permette aux populations de se sentir concernées dans leur quotidien.
Vers un journalisme plus sensible et plus proche du terrain
Tout au long du forum, les participants ont débattu des manières concrètes de transformer le traitement médiatique du climat. Il a été question de privilégier des récits incarnés, mettant en lumière des figures locales, des communautés vulnérables, des solutions innovantes. Ce glissement vers le « journalisme de solutions » a été largement salué comme une réponse nécessaire à la lassitude suscitée par les discours alarmistes.
L’un des axes forts a porté sur l’importance du journalisme d’investigation environnemental, en tant qu’outil de dénonciation des violations, mais aussi comme levier d’action publique. Les partenariats avec les ONG, les agences internationales et les chercheurs ont été identifiés comme indispensables pour garantir l’exactitude et la profondeur des reportages.
Plusieurs interventions ont également souligné l’importance de la formation continue des journalistes arabes sur les questions climatiques, appelant à l’émergence d’une nouvelle génération de professionnels capables d’articuler enjeux écologiques, justice sociale et narration inclusive.
Alerter pour protéger : les défis techniques des systèmes d’alerte
En marge du forum, deux ateliers techniques ont permis d’explorer des outils concrets de prévention et de sensibilisation. L’un d’eux, animé par le Dr Mostafa Hindi, de l’Union internationale des télécommunications, a présenté l’initiative onusienne « Alerte précoce pour tous – EW4ALL », lancée en 2021. Cette initiative vise à garantir que chaque personne dans le monde ait accès à un système d’alerte d’ici 2027.
Le constat partagé a été préoccupant : seuls quatre pays arabes disposent actuellement d’un système d’alerte par téléphonie mobile. La Tunisie, par exemple, en est encore dépourvue. Ce déficit technologique a nourri une réflexion collective sur la responsabilité des gouvernements et des opérateurs dans la mise en place d’infrastructures d’alerte accessibles et efficaces.
À l’issue des travaux, les participants ont formulé plusieurs recommandations. Ils ont appelé à la création d’un réseau arabe de journalistes spécialisés dans les questions climatiques, à l’investissement massif dans la formation, au soutien à l’innovation éditoriale et technologique, à l’intégration des thématiques environnementales dans les politiques nationales, ainsi qu’au renforcement des partenariats avec les organisations internationales.
L’intelligence artificielle a également été évoquée comme une opportunité pour renouveler les formats narratifs et toucher de nouveaux publics, à condition qu’elle soit utilisée de manière éthique et responsable.
De Bagdad, une parole nouvelle s’est levée
Le Forum des Médias Arabes de Bagdad a été bien plus qu’une simple conférence. Il a marqué un tournant dans la manière dont les journalistes et professionnels des médias arabes envisagent leur rôle dans un monde en mutation. Il a affirmé la nécessité d’un journalisme plus sensible, plus proche des réalités humaines, plus engagé dans la défense du vivant.
Dans le berceau de la civilisation mésopotamienne, les mots ont retrouvé leur puissance. Les récits partagés à Bagdad ont dessiné les contours d’un avenir où les médias ne se contenteraient plus d’informer, mais participeraient activement à la transformation de nos sociétés.