À l’orée d’une nouvelle saison touristique, les professionnels du guidage en Tunisie haussent le ton. Les guides indépendants, premiers témoins de l’état réel des sites patrimoniaux et des circuits touristiques, dénoncent aujourd’hui une dégradation inquiétante de l’environnement qui entoure les lieux qu’ils présentent quotidiennement aux visiteurs. Cette situation, longtemps tolérée, commence à peser lourdement sur leur profession, leur crédibilité, mais aussi sur l’image du pays auprès des touristes étrangers.
Ce malaise s’exprime à travers un message fort : un constat amer que les guides ne peuvent plus ignorer. Leur travail, centré sur la valorisation culturelle, devient une mission défensive face à une réalité encombrée de déchets, de négligence et d’abandon.
Un touriste choqué par la saleté des abords d’un site emblématique aura bien du mal à se concentrer sur la richesse historique du lieu. Le guide, dans cette posture, se voit contraint de trouver des justifications à ce qui est pourtant du ressort d’une responsabilité collective.
Un secteur fragilisé par l’inaction
Ce cri d’alarme traduit aussi une frustration plus profonde : celle de voir les institutions publiques rester inertes face à une crise environnementale visible et persistante. Les initiatives locales pour nettoyer ou embellir certains sites sont rares, désordonnées et souvent éphémères. Aucune stratégie d’envergure ne semble coordonner les efforts des différents acteurs — municipalités, ministère du Tourisme, ou ministère de l’Environnement — pour préserver durablement les espaces fréquentés par les visiteurs. Pire encore, les professionnels du terrain dénoncent l’absence d’un véritable dialogue avec les autorités. Alors que les guides représentent un lien direct entre les touristes et le pays, leurs observations et propositions restent systématiquement écartées. Cette mise à l’écart affaiblit encore davantage un secteur déjà fragilisé par les crises successives, qu’elles soient sanitaires, économiques ou structurelles.
La marginalisation du rôle des guides dans les discussions sur le développement touristique contraste avec les promesses passées de reconnaissance et d’implication. Plusieurs engagements officiels avaient été formulés pour intégrer leurs avis dans les projets d’aménagement et de revalorisation des circuits touristiques. Ces engagements, cependant, sont restés lettres mortes. Dans les faits, de nombreuses zones touristiques récemment mises en avant par les discours gouvernementaux restent dans un état de délabrement qui compromet toute attractivité. La déconnexion entre le discours institutionnel et la réalité du terrain nourrit un climat de méfiance, voire de désillusion, chez les professionnels du tourisme.
A cela s’ajoute une faiblesse notable sur le plan de la représentation internationale. La Tunisie ne joue plus de rôle influent dans les organisations mondiales du tourisme, et ses participations à des salons internationaux manquent de cohérence stratégique. L’absence d’un plan de communication intégré, capable de refléter la richesse et la diversité de l’offre tunisienne, se traduit par une faible visibilité à l’étranger. Cette invisibilité affaiblit la position du pays face à la concurrence régionale et mondiale.
Des solutions attendues, une reconnaissance nécessaire
Les guides ne se contentent pas de dénoncer. Ils proposent aussi. Leur appel s’accompagne d’une exigence claire : que leur expertise soit enfin reconnue et que leur rôle soit institutionnalisé dans les politiques de développement touristique. En tant que praticiens du quotidien, ils sont à même de détecter les dysfonctionnements, de proposer des pistes d’amélioration, et de contribuer à la mise en place de standards de qualité plus élevés.
Pour y parvenir, une mobilisation intersectorielle s’impose. Il faut une alliance concrète entre les ministères du Tourisme et de l’Environnement, les collectivités locales, et les associations de professionnels pour lancer un plan national de salubrité et de mise à niveau des circuits touristiques. Il s’agirait non seulement de restaurer les sites existants, mais aussi d’éduquer à la préservation, de soutenir les bonnes pratiques et de renforcer les mécanismes de suivi.
Une urgence pour un secteur vital
Le tourisme reste un pilier de l’économie tunisienne, et chaque détail compte dans l’expérience offerte aux visiteurs. À l’heure où la Tunisie tente de retrouver sa place dans le paysage touristique international, elle ne peut se permettre d’ignorer les signaux envoyés par ceux qui sont sur le front. Plus que jamais, la propreté, la qualité de l’accueil et l’écoute des professionnels du terrain doivent devenir des priorités. Si le pays veut attirer durablement les touristes, il lui faudra commencer par prendre soin de ses propres trésors. Et pour cela, écouter les guides, c’est déjà faire un grand pas vers une réforme lucide et concrète du secteur.
Leila SELMI