« Échos à travers les âges, Dialogues imaginaires avec des Esprits pionniers » est un livre de 399 pages, signé par Zouhaïr Ben Amor et publié chez Contrastes Édition en mars 2025. Voici donc un livre où l’auteur dialogue avec les grands penseurs et écrivains du passé. Une interaction qui prend la forme d’un échange intellectuel, sous forme d’une conversation imaginaire ou d’une réflexion sur les textes anciens. Le lecteur peut à travers ces textes dialogués, explorer des idées, interpréter des œuvres et tisser des liens entre le passé et le présent. Ce livre ne se contente pas de revisiter les grandes figures de l’histoire de la pensée. Loin s’en faut ! Il les convoque, les interroge, et surtout, leur donne la parole dans une mise en scène subtile et profondément humaine. A travers ces conversations imaginaires, l’auteur imagine des conversations avec des auteurs ou philosophes du passé, comme un échange de points de vue sur des thèmes spécifiques. Il discute avec les penseurs du passé pour explorer leurs idées, leurs théories et leurs influences sur la pensée humaine.
Né d’un esprit curieux, nourri par la rigueur scientifique et la passion pour les lettres, cet ouvrage propose une série de dialogues fictifs entre l’auteur et des figures qui ont marqué l’histoire intellectuelle de l’humanité. Les interlocuteurs sont au nombre de 95, répartis entre des hommes de lettres et de culture, des romanciers, des philosophes, des scientifiques, des savants, des économistes, des hommes politiques, des musiciens, des artistes, appartenant à des époques lointaines, qui ont appartenu à des siècles écoulés et qui ont fait leurs preuves dans leurs domaines respectifs. Pour ne citer que quelques noms, Darwin, Spinoza, Aristote, Avicenne, Marie Curie ou encore Picasso viennent tour à tour éclairer le lecteur sur les grandes interrogations de notre temps, dans une langue précise, élégante et souvent empreinte d’émotion.
Une œuvre à la croisée des disciplines
Ce qui frappe d’emblée à la lecture de ce livre, c’est son refus des compartimentations traditionnelles. Zouhaïr Ben Amor, biologiste de formation, s’autorise ici toutes les libertés : philosophiques, littéraires, historiques. Il refuse le cloisonnement qui, trop souvent, isole les sciences naturelles des humanités, comme si réfléchir sur la vie devait nécessairement s’arrêter aux seules lois du vivant. Dans chaque dialogue, l’auteur adopte une posture à la fois humble et engagée. Il ne cherche pas à faire une leçon d’histoire ou à démontrer son érudition, mais à faire revivre les voix du passé dans leur intensité et leur résonance actuelle. Le biologiste converse avec Galilée, mais c’est aussi le citoyen du XXIe siècle qui interroge l’éthique, la politique, la foi et le doute.
Ce livre est aussi le fruit d’un parcours personnel, celui d’un homme qui a longtemps enseigné la biologie à la Faculté des Sciences de Tunis, et qui n’a jamais cessé d’interroger les fondements mêmes du vivant. En se retirant de l’université, Zouhaïr Ben Amor ne s’est pas retiré du monde. Bien au contraire, il a choisi de réinvestir la parole, l’écriture, et la mémoire collective à travers ce projet ambitieux. Il faut dire que l’auteur a toujours oscillé entre deux pôles : la rigueur de la science et la liberté de l’art. Photographe reconnu, chroniqueur régulier dans la presse tunisienne, il a cultivé un regard attentif, empathique, souvent mélancolique sur la société. Ce regard traverse « Échos à travers les âges », offrant une lecture sensible de l’histoire et des idées. Ce n’est donc pas un livre écrit depuis une tour d’ivoire, mais depuis un carrefour de vie, de lectures, d’engagements. On y perçoit les échos d’une Tunisie inquiète, d’un monde en mutation, d’une pensée en quête d’universel.
Des personnages choisis avec soin
Le choix des interlocuteurs ne doit rien au hasard. Ils sont autant de balises dans l’histoire humaine, choisis non pour leur notoriété mais pour ce qu’ils incarnent : un combat, une vision, une rupture. Platon n’est pas là pour flatter une érudition marginale, mais pour rappeler la fragilité du savoir face à la violence des dogmes. Spinoza n’est pas convoqué pour exposer une métaphysique complexe, mais pour rendre audible une sagesse lumineuse dans une époque obscurcie par les radicalismes.
Chaque figure est traitée avec respect, mais aussi avec audace. Il ne s’agit pas d’une galerie de portraits figés, mais de voix recréées, habitées, vivantes. L’auteur prend le risque de leur prêter des paroles qu’elles n’ont jamais dites, mais qui, dans le contexte du dialogue, semblent parfaitement vraisemblables. C’est là toute la force de l’exercice : retrouver l’esprit d’un penseur, non dans la lettre, mais dans le souffle.
On retrouve ainsi dans ce panthéon fictif des scientifiques comme Darwin ou Einstein, des penseurs de la justice comme Nelson Mandela ou Ibn Khaldoun, des artistes comme Frida Kahlo. Tous ont en commun une certaine forme de courage intellectuel, une capacité à penser contre leur temps, parfois contre eux-mêmes.
Une langue claire, savante et accessible
On aurait pu craindre une écriture trop théorique, un texte réservé aux initiés. Il n’en est rien. La langue de Zouhaïr Ben Amor, tout en étant rigoureuse, est d’une remarquable clarté. Elle emprunte autant à la poésie qu’à l’essai, ménageant des respirations, des silences, des envolées. Chaque dialogue est précédé d’un prologue où l’auteur plante le décor : une ruelle, une mer calme, une bibliothèque endormie… Ce cadre narratif rend l’entrée dans la pensée plus douce, plus humaine.
La pédagogie est omniprésente mais discrète. Jamais l’auteur ne simplifie les concepts jusqu’à les appauvrir ; il les éclaire, les fait vibrer. Le lecteur, même sans formation philosophique, peut suivre le fil. Et c’est là une grande réussite : rendre la pensée vivante sans la trahir.
Ainsi, le dialogue permet d’approfondir la compréhension des idées et des influences qui ont façonné la pensée humaine. Le lecteur, à son tour, peut tirer des enseignements du passé en apprenant des leçons, des avertissements ou des réflexions qui peuvent être utiles aujourd’hui. C’est qu’il y a toujours un intérêt de la connaissance des œuvres du passé, car nous avons ce besoin constant de nous comprendre comme homme, comme femme, et ce besoin passe par la compréhension de ceux qui nous ont précédés. Une œuvre détruite ou oubliée, c’est un monde qui disparaît et une part de nous-même qui nous échappe. Avec ce livre, Zouhaier Ben Amor immortalise les hommes illustres de jadis et de naguère et leurs grandes œuvres. Aussi peut-on considérer cet ouvrage comme une référence pour les générations présentes et futures.
Si le discours dialogué domine dans ses rencontres fictives avec les différents personnages, il n’en demeure pas moins que la narration occupe une place importante dans le livre à travers les aperçus sur leur vie et leur carrière que l’auteur nous fournit avant d’entamer la discussion ou à travers les conclusions tirées à la fin de chaque dialogue. Au début de chaque dialogue, l’auteur indique le cadre spatio-temporel où la rencontre a eu lieu. Ainsi, le lecteur se trouve devant un texte théâtral où les deux interlocuteurs dialoguent, se renseignent, s’expriment aisément et sans détours, s’émeuvent et réagissent même à des questions provocatrices. Le dialogue engagé avec les différentes figures du passé est animé, vivace et dynamique.
.Une invitation à la transmission
Échos à travers les âges n’est pas un livre de chevet, ni un manuel. C’est un livre à lire à voix haute, à partager, à offrir. Il donne envie de relire les penseurs oubliés, de découvrir ceux qu’on ne connaissait pas, de se réconcilier avec la complexité.
Il donne aussi envie de dialoguer. Non pas dans l’arène tapageuse des réseaux sociaux, mais dans l’intimité d’une conversation sincère. C’est peut-être là sa plus grande force : il restaure l’idée que parler, écrire, penser ensemble peut encore avoir du sens.
Pour les jeunes lecteurs, ce livre est un pont. Il relie la Tunisie d’aujourd’hui aux grandes voix du monde. Pour les plus anciens, il est une manière de renouer avec des figures familières sous un jour nouveau. Et pour tous, il est une invitation à prendre le relais : à écrire à son tour, à interroger son époque, à faire dialoguer les absents.
« Échos à travers les âges » est un livre rare, précieux, nécessaire. Il ne prétend pas donner de réponses définitives, mais il pose les bonnes questions, et il les pose bien. À travers ses dialogues imaginaires, Zouhaïr Ben Amor nous rappelle que les idées ne meurent jamais, qu’elles attendent simplement qu’on les fasse résonner à nouveau.
Dans cette époque fragmentée, il fallait oser faire dialoguer Spinoza avec un biologiste tunisien, Socrate avec un contemporain désabusé, Van Gogh avec un photographe de village. Il fallait oser ce pari d’écriture, et surtout le tenir. « Échos à travers les âges » est une œuvre de passion, de transmission, et d’espérance. Et c’est peut-être cela, le vrai miracle des livres.
Hechmi KHALLADI