Le gouvernement explore de nouvelles pistes pour diversifier les sources de financement des caisses sociales suite aux instructions données par le Président de la République, Kaïs Saïed, à l’exécutif lors d’une rencontre tenue le 20 mai dernier avec le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmer.
L’intérêt se porte désormais sur la conception de nouvelles approches en rupture avec les remèdes traditionnels que recommandent souvent aux autorités les institutions financières internationales, comme l’augmentation des cotisations des employés et des employeurs ou encore le relèvement de l’âge légal du départ à la retraite.
La première approche consiste à fiscaliser le financement des régimes de sécurité sociale. Il s’agit, en d’autres termes, d’instaurer taxes parafiscales sur les comportements à risque comme le tabagisme, la consommation de l’alcool ainsi que sur les paris sportifs et les activités économiques polluantes.
Le recours à ces taxes parafiscales pour diversifier les sources de financement des régimes de sécurité sociale s’inspire notamment de l’expérience française, où plus de 50 taxes sur des produits non essentiels, nocifs ou superflus sont reversées aux caisses sociales.
A titre d’exemple, seuls 20% des recettes provenant la vente des cigarettes en France vont dans les poches des buralistes et des fabricants de tabac. Le reste, soit 80%, sert à financer les organismes de protection sociale, dont les caisses de sécurité sociale et la Caisse d’assurance-maladie.
Des taxes parafiscales spécifiques pourraient également cibler certains secteurs d’activité économique florissants tels que ceux les banques, des assurances et des cliniques privées.
La deuxième approche envisagée prévoit l’élargissement des cotisations à des modes d’emploi émergents ou atypiques comme le travail indépendant (freelance) et les contrats de prestation de services.
Les autorités envisagent d’autre part d’intensifier leurs efforts en matière de lutte contre la sous-déclaration des salaires et le travail au noir.
Les experts mandatés par le ministère des Affaires sociales étudient par ailleurs la possibilité de recourir au système de retraite par capitalisation, en complément de l’actuel système de retraite par répartition.
Contrairement au système de retraite par répartition, qui repose sur un principe de solidarité intergénérationnelle (les cotisations versées par les actifs d’aujourd’hui servent à payer les pensions des retraités), le système de retraite par capitalisation permet aux actifs d’épargner en vue de leur propre retraite. Cette épargne fera l’objet de placements par des fonds de pension ou de compagnies d’assurance-vie, dont le rendement dépendra essentiellement de l’évolution des marchés financiers et des taux d’intérêt. Les sommes accumulées seront reversées à l’assuré après son départ à la retraite sous forme de capital, de rente viagère ou les deux. Ces différents dispositifs de capitalisation, qui visent à compléter les pensions dues au titre des régimes de retraite par répartition légalement obligatoires, peuvent être souscrits soit individuellement ou collectivement.
Un déficit structurel
Le relèvement de l’âge du départ à la retraite dans le secteur public, la révision à la hausse des cotisations et l’instauration d’une contribution sociale de solidarité (CSS) décidés ces dernières années ont permis d’améliorer la situation de la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) et à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNRPS), mais le déficit de ces deux caisses demeure abyssal.
D’après les dernières statistiques disponibles, la CNRPS a affiché à fin 2022 des fonds propres de -3377 millions de dinars et un résultat net de -578,7 millions de dinars. A la même date, la CNSS a, quant à elle, affiché des fonds propres de -3433 millions de dinars et un résultat net de -961,5 millions de dinars.
Les résultats négatifs de ces deux caisses se répercutent également négativement sur la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), qui ne reçoit qu’une partie de sa quote-part des cotisations puisque l’essentiel des ressources collectées par le CNSS et la CNRPS sert à assurer le versement des pensions de retraite. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que les créances des établissements publics de santé auprès de la CNAM sont passées de 531 millions de dinars en 2019 à 1493 millions en 2023, selon des données publiées récemment par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Le déficit des régimes de sécurité sociale est d’ordre structurel. Le trou béant de la « Sécu » trouve essentiellement son origine dans les mutations démographiques et socio-économiques qu’a connues la Tunisie au cours des dernières décennies. Il s’agit notamment du vieillissement de la population qui passera du simple au double d’ici 2029, de la hausse de l’espérance de vie (75 ans), la propagation des emplois précaires et de l’essor de l’économie informelle. A cela s’ajoutent l’augmentation du taux de chômage, l’accès tardif des jeunes à la vie professionnelle et la multiplication des plans sociaux et des départs à la retraite anticipée.
Selon les dernières données de l’Institut national de la statistique (INS), le taux des personnes âgées de plus de 60 ans a atteint 13% de la population en 2018. D’après les projections, ce taux devrait continuer à augmenter durant les années à venir pour s’établir à 17% en 2029 et à 20% en 2036. Dans le même temps, l’espérance de vie à la naissance passera de 75,9 ans actuellement à environ 79 ans à l’horizon 2030.
Le ratio moyen actifs/retraités pour les deux caisses sociales (nombre de salariés actifs qui paient grâce à leurs cotisations les pensions des retraités, NDLR) a ainsi baissé à une vitesse vertigineuse au cours des trois dernières décennies. La moyenne actuelle pour les deux caisses (CNSS et CNRPS) est de moins de trois actifs pour un retraité (1,391 million personnes bénéficient d’une pension de retraite contre 3,409 millions personnes actives).
Walid KHEFIFI