Recycler les huiles alimentaires usagées, c’est protéger l’environnement tout en créant de la valeur. Longtemps négligées, ces huiles représentent pourtant un véritable danger lorsqu’elles sont jetées dans les canalisations ou déversées dans la nature, polluant les sols, les nappes phréatiques et perturbant le fonctionnement des stations d’épuration.
Cependant, au-delà de leur impact écologique négatif, ces déchets liquides peuvent être transformés en biocarburants ou en biogaz, contribuant ainsi activement à la transition énergétique.
Dans un contexte marqué par des pressions croissantes sur les ressources naturelles, leur recyclage s’impose désormais comme une nécessité stratégique, à la croisée de l’économie circulaire et de la protection environnementale.
Dans ce cadre, le directeur général de l’Agence nationale de gestion des déchets, Badr Eddine Lassmar, a annoncé le lancement d’une campagne nationale de collecte des huiles alimentaires usagées dans la municipalité de Manouba. Cette initiative, menée sous la supervision du ministre de l’Environnement, Habib Abid, et du gouverneur de Manouba, Mahmoud Chaïeb, s’inscrit dans le cadre de la Journée nationale de la propreté et de la protection de l’environnement.
Dans une déclaration accordée à la radio nationale, Badr Eddine Lassmar a expliqué que cette journée vise à mettre en lumière la problématique des déchets en Tunisie, en invitant à une réflexion globale sur la stratégie nationale et les objectifs futurs. Elle met notamment l’accent sur les huiles alimentaires usagées, un type de déchet encore sous-estimé mais aux enjeux multiples, tant environnementaux qu’économiques.
Une campagne initiée dès 2022
Cette campagne a été initialement lancée en 2022 sous la supervision de l’Agence nationale de gestion des déchets. Elle vise principalement à activer le système de gestion des huiles alimentaires usagées et à doubler les quantités collectées et triées provenant des ménages.
Ce dispositif accorde également une attention particulière à la sensibilisation des ménagères quant à l’importance de la collecte de ces huiles, en raison de leurs effets nocifs sur l’environnement et des coûts élevés liés à leur traitement lorsqu’elles sont déversées de manière anarchique dans la nature, au lieu d’être exploitées comme matière première dans un processus de valorisation matérielle ou énergétique.
Une ressource sous-exploitée à fort impact
« Chaque année, environ 88 000 tonnes d’huiles alimentaires usagées sont produites dans le pays, alors que la Tunisie importe près de 220 000 tonnes d’huiles végétales. Ainsi, près de 40 % de ces huiles finissent sous forme de déchets, constituant un risque environnemental majeur. Pourtant, ces déchets pourraient représenter une opportunité économique réelle s’ils étaient mieux valorisés », a déclaré Badr Eddine Lassmar.
Le responsable a précisé que le taux de recyclage et de valorisation des huiles alimentaires usagées atteint aujourd’hui un niveau significatif de 45 %, principalement grâce aux grands producteurs tels que les restaurants et les hôtels. En revanche, 55 % des huiles usagées, provenant surtout des ménages, restent difficiles à collecter, ce qui complique leur valorisation et leur recyclage. « La collecte à domicile constitue donc un véritable défi logistique », a-t-il souligné.
« C’est pourquoi les 45 % collectés permettent une valorisation énergétique notable, notamment par transformation en biodiesel. Quant aux 48 000 tonnes restantes, elles représentent un gisement important mais encore peu exploité, principalement issu des foyers domestiques », a-t-il ajouté.
Le responsable a indiqué que « aujourd’hui, notre rôle est avant tout de sensibiliser le grand public aux risques environnementaux liés à une élimination incorrecte de ces huiles, a insisté le directeur général. »
Selon les données de l’Agence nationale de gestion des déchets, la quantité estimée de déchets d’huiles alimentaires usagées atteint environ 50 000 tonnes par an, dont 60 % proviennent des ménages. Pour structurer cette filière, environ 200 micro-entreprises disposent d’un cahier des charges pour la collecte, auxquelles s’ajoutent trois entreprises spécialisées dans le traitement préliminaire (notamment la filtration) et six sociétés agréées pour la valorisation, principalement par la production de biogaz.
En matière de gestion actuelle, l’agence précise que les quantités collectées sont passées de 12 000 tonnes en 2016 à 16 000 tonnes en 2017. Ces volumes sont intégralement exportés, après un traitement initial.
La production de biogaz à partir de ces huiles a également progressé, atteignant 5 000 tonnes en 2016 puis 8 000 tonnes en 2017, elles aussi entièrement destinées à l’exportation.
Un enjeu environnemental mondial
Ce problème dépasse largement les frontières tunisiennes. À ce sujet, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) souligne que les huiles de cuisson usagées constituent un déchet dangereux généré en quantités alarmantes à l’échelle mondiale. Leur rejet dans les sols et les milieux aquatiques peut avoir de graves conséquences environnementales. De plus, une mauvaise gestion de ce type de déchet représente une perte significative de ressources énergétiques.
C’est pourquoi de nombreuses recherches s’orientent vers des solutions à la fois économiques et écologiques, notamment leur conversion en biodiesel. Ce dernier représente une alternative prometteuse au diesel minéral, grâce à sa faible toxicité, sa biodégradabilité, son caractère renouvelable et la possibilité d’être utilisé directement dans les moteurs diesel.
Cependant, les catalyseurs traditionnellement utilisés dans la production de biodiesel , qu’ils soient homogènes ou hétérogènes , présentent souvent des limites , ils sont toxiques et issus de ressources non renouvelables. Pour améliorer la durabilité de ce procédé, il est donc crucial de développer des catalyseurs dérivés de déchets renouvelables, comme le recommande la FAO.
Vers une stratégie nationale de valorisation des déchets
Dans une perspective plus large, et à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement du 5 juin 2025, le ministère de l’Environnement a annoncé que l’orientation stratégique vers la valorisation des déchets constitue désormais une priorité nationale. Une commission de travail spécialisée a été mise en place pour étudier les idées et projets soumis, simplifier les procédures administratives et faciliter l’investissement dans toutes les régions du pays.
« Ces projets ambitieux concernent différents types de déchets, qui seront exploités pour produire des énergies alternatives propres telles que le gaz, l’électricité et le charbon, à destination des usines, hôtels et autres institutions économiques, selon une approche globale combinant développement, protection de l’environnement et rôle social », a conclu le ministre de l’Environnement.
Nouha MAINSI