La secrétaire d’État chargée des sociétés communautaires, Hasna Jiballah, a appelé les autorités nationales, régionales et locales, lors d’une réunion tenue récemment avec le Gouverneur de Tunis, Imed Boukhris, à plus de soutien dans le but de garantir la réussite du programme relatif à leur financement et à leur développement. Est-ce à dire qu’après leur mise en marche depuis le 21 mars 2021, date du décret présidentiel portant création des sociétés communautaires, elles rencontrent toujours des difficultés de financement ?
Pourtant, elles constituent l’un des piliers du projet socio-économique conçu par le Président de la République Kaïs Saïed, dans une finalité de renforcer l’économie sociale et solidaire, et favoriser l’autonomisation des citoyens dans les différentes régions du pays, notamment celles qui ont été longtemps marginalisées et défavorisées. Le soutien financier et institutionnel demeure ainsi crucial pour permettre à ces structures de remplir pleinement leur mission et de devenir de véritables leviers de développement local inclusif et durable. Car elles rencontrent des difficultés d’accès au crédit, similaires à celles des petites et moyennes entreprises (PME). Cela est dû essentiellement aux difficultés de présentation des garanties exigées par les banques. C’est dans ce sens que Hasna Jiballah a appelé à des efforts continus en vue de créer un climat d’investissement favorable à des sociétés communautaires à responsabilité environnementale durable, capables de générer de la richesse et d’en assurer une répartition équitable. D’ailleurs, elle a affirmé que le nombre total de sociétés communautaires devrait dépasser les 1 500 d’ici la fin de l’année 2025.
Les ouvrières agricoles, vers un modèle exemplaire de sociétés communautaires
En effet, la mise en place d’un fonds national de soutien, complété par des mécanismes de financement participatif et des incitations fiscales pour les bailleurs de fonds, permettrait d’attirer des ressources vers des projets communautaires à fort impact social et environnemental. Un accompagnement technique pour la formation de ces sociétés est également nécessaire. Le succès de ces sociétés repose aussi sur le renforcement des capacités locales, à savoir les formations en gestion, en comptabilité, en marketing, en développement durable et en gouvernance collective.
Par ailleurs, les gouvernorats et les collectivités locales peuvent jouer un rôle moteur en soutenant les projets communautaires dans leur région, en facilitant l’accès au foncier, aux infrastructures ou encore aux appels d’offres publics. La création de sociétés communautaires autour de filières vertes est également à encourager à l’instar de l’agriculture durable, la gestion des déchets, les énergies renouvelables ou l’artisanat. Des domaines qui sont susceptibles de créer une richesse considérable de l’environnement. Dans les régions rurales de Tunisie, les ouvrières agricoles constituent l’un des maillons les plus fragiles de la chaîne économique. Faiblement rémunérées, souvent sans couverture sociale, elles parcourent chaque jour des kilomètres dans des conditions précaires pour quelques dizaines de dinars. Pourtant, une alternative émerge, portée par l’idée d’autonomisation et de solidarité, à savoir la création de sociétés communautaires.
Pour les ouvrières agricoles, ce modèle représente bien plus qu’un cadre juridique. C’est une opportunité de rompre avec la précarité, de devenir actrices de leur destin et de faire entendre leurs voix. Les ouvrières agricoles peuvent créer entre elles une société communautaire de service. Ce qui peut être une solution concrète et durable à leurs problèmes socio-économiques. En créant leur propre structure, les ouvrières agricoles peuvent mieux maîtriser leur environnement de travail. Se regrouper leur permet de négocier à l’unisson, de mutualiser les ressources dont notamment le transport, qui ne cesse actuellement de faire des victimes. Il est temps de mettre fin aux moyens de transport destinés à la base au bétail, afin d’assurer leur sécurité et leur dignité.
Se faire accompagner par l’Etat et les ONG et accéder aux aides publiques, afin d’intégrer l’économie sociale et solidaire, cela peut être concrétisé par la valorisation d’un modèle coopératif basé sur l’entraide et la redistribution équitable. Les ouvrières agricoles tunisiennes, souvent réduites au silence, pourraient ainsi devenir les pionnières d’une nouvelle économie locale, solidaire, respectueuse de l’environnement et centrée sur l’humain. Mais pour cela, l’État doit jouer son rôle de facilitateur, en garantissant un accès simplifié au foncier, en instaurant des lignes de crédit dédiées et en valorisant les femmes rurales comme actrices du changement. Comme le souligne une ancienne ouvrière devenue entrepreneure : « Quand on donne aux femmes les moyens de produire ensemble, elles produisent aussi de la dignité ».
Potentiel en matière de création d’emplois et de valorisation des ressources locales
Cela dit, les sociétés communautaires ne se limitent pas au domaine agricole. Le décret présidentiel de mars 2021 permet la création de ces structures dans tous les secteurs d’activité, à condition qu’elles soient collectives, locales et à but socioéconomique. A titre d’exemple, on peut penser à une société communautaire de femmes potières ou de tissage traditionnel à Sejnane ou à Kairouan ou encore, à une société de transformation de produits locaux tels que l’huile d’olive. Cela permet de valoriser les savoir-faire ancestraux, créer des circuits de commercialisation locale et internationale. Cela permet également de promouvoir l’économie circulaire et de créer de l’emploi. Ces modèles sont adaptables en fonction des besoins spécifiques de chaque région. L’essentiel est qu’ils soient basés sur une initiative citoyenne locale, une répartition équitable des profits et un impact positif sur la communauté. Face aux inégalités territoriales persistantes et au chômage structurel, notamment dans les régions de l’intérieur, les sociétés communautaires représentent aujourd’hui une véritable alternative de développement économique inclusif. Leur potentiel en matière de création d’emplois, de valorisation des ressources locales et de renforcement de la cohésion sociale est indéniable.
En outre et comme l’a fait encore remarquer Hasna Jiballah, ces sociétés contribuent au développement de la capacité concurrentielle de certaines entreprises publiques, notamment celles en difficulté. Toutefois, leur réussite dépend fortement d’un accompagnement concret, notamment à travers des mécanismes de financement souples et adaptés, publics comme privés. Encourager les banques, les institutions de microfinance et même les fonds souverains à soutenir ces structures, c’est investir dans une nouvelle économie de proximité, porteuse de durabilité et d’équité. Le financement des sociétés communautaires n’est donc pas une dépense, mais un levier stratégique pour amorcer une transformation régionale profonde et durable, fidèle aux objectifs de justice sociale et de relance économique prônés par le Chef de l’Etat.
Ahmed NEMLAGHI