Il arrive qu’un État s’essouffle sous l’inertie de ses propres bras, la paresse de dispositifs sans effet, le silence d’institutions devenues inutiles. En Tunisie, l’hypertrophie administrative est une gêne concrète : elle s’entend dans les lenteurs, se voit dans les retards, s’accroît dans les blocages. Au fil des décennies, l’État s’est bâti un bestiaire d’institutions : agences sans utilité, conseils sans mission, commissions sans lendemain. Un lacis de structures publiques aux mandats flous qui s’est empilé à la diable – comme des meubles disjoints dans une maison sans charpente.
Créées souvent dans l’ombre des clientélismes, ces entités peuplent l’État sans le servir, l’alourdissent sans le soutenir, le rongent sans bruit. Presque toutes s’effacent des priorités mais subsistent dans les comptes. Elles ont battu l’air, gobé le reste : le budget, le sens, le temps.
L’État devient alors une collection de coquilles, un musée d’intentions, une fabrique de stagnation.
Le mal excède la panne budgétaire : c’est une panne de sens, de cap, de devoir. Car ces planques administratives, parfois peuplées de milliers de fonctionnaires en mal de mission, paralysent la volonté et détournent l’énergie publique. Elles siphonnent des ressources qui manquent cruellement à l’école, à l’hôpital, au transport, au couffin.
On ne réforme pas en feuilletant des rapports. Il faut un inventaire : lucide, implacable, méthodique. Dire quelles structures servent, lesquelles freinent, lesquelles asphyxient. Et puis, on ne soigne pas une gangrène avec du fond de teint. Il faut une intervention sans complaisance – un geste politique assumé. Distinguer les organes vivants des enveloppes mortes. Supprimer le superflu, unir les forces, irriguer ce qui soigne, ce qui construit, ce qui relie.
Un État efficace se reconnaît à cela : écouter, décider, accomplir. Il est à la fois le garant, le moteur et le guide.
L’heure est venue de rompre. Rompre avec le toujours-plus, qui fabrique du rien en grande série. En finir avec les façades, les doublons, les structures sans nerfs. Et redonner à l’État ce qui lui manque : de la tension, du souffle, du tranchant.
Il faut rendre à l’État sa respiration et sa nervure : moins d’organes, plus de forces vives ; moins de poussière, plus de cap ; moins de fatigue, plus d’élan.
La Tunisie ne manque ni de bras, ni de cerveaux. Elle regorge de volontés, de forces, de voix. Ce qui lui fait défaut, c’est une architecture de l’essentiel.