La vente illégale de médicaments en ligne explose en Tunisie, menaçant par là même la santé publique. Face à cette recrudescence, les autorités appellent à une réponse coordonnée mêlant renforcement réglementaire, régulation du commerce pharmaceutique en ligne et campagnes de sensibilisation pour restaurer la confiance des citoyens.
La croissance rapide des plateformes et réseaux informels de distribution de médicaments pose un défi majeur à la santé publique tunisienne. En parallèle, des pénuries répétées dans les officines et le poids financier des traitements, un phénomène qui crée un véritable marché parallèle où les risques sanitaires s’accumulent avec des produits contrefaits, une automédication non encadrée et une absence totale de garanties.
Le déficit de confiance du public ajoute une dimension supplémentaire à ce constat alarmant. C’est ce qui a été soulevé par la commission de la santé, au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui a tenu récemment une séance d’audition consacrée à la discussion de la vente en ligne des médicaments et des produits de santé. La commission a mis en garde sur la page Facebook de l’ARP contre ce phénomène qui ne cesse de se développer, notamment depuis la période du Covid en 2020. Il est vrai que le vide réglementaire autour de la vente en ligne de médicaments favorise la multiplication des offres clandestines. Ces plateformes opèrent souvent en toute impunité, et leurs contenus échappent à toute modération ou vérification.
Rupture de stocks et circuits parallèles en ligne
Il faut dire que plusieurs facteurs expliquent pourquoi les citoyens tunisiens se tournent vers la vente de médicaments par Internet, malgré les risques sanitaires que cela représente. Il y a d’abord les ruptures de stock fréquentes dans les pharmacies, notamment concernant les médicaments essentiels pour des traitements chroniques, anticancéreux, qui poussent les malades à chercher des alternatives ailleurs. Les délais d’approvisionnement longs incitent certains à se procurer ces produits en ligne, souvent sans garantie de leur authenticité. D’autre part, plusieurs médicaments ne sont pas remboursés par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM). D’autant plus que plusieurs médicaments sont vendus à des prix élevés. Or, les circuits parallèles proposent des prix plus bas, ce qui attire les populations à revenu modeste, même au détriment de la qualité. Par ailleurs, l’achat à travers ce circuit se fait sans ordonnance médicale ni contrôle. Ce qui facilite l’accès abusif à certains produits. Il y a également des produits spécifiques tels que les médicaments liés à la santé mentale, ou les produits dopants, dont certains acquéreurs, qui préfèrent éviter le regard des autres, recourent à ces circuits sur internet pour passer inaperçus. Malheureusement, ils ignorent les dangers que peuvent générer ces médicaments achetés sans aucune garantie ni contrôle, notamment par leurs effets secondaires graves.
Appel à la criminalisation de la vente anarchique par internet
C’est la raison pour laquelle les députés ont par la même occasion, appelé à l’adoption de textes de loi qui criminalisent de telles pratiques, représentant un danger pour les citoyens. Faut-il interdire totalement la vente de médicaments par internet ? Certains craignent qu’une interdiction totale ne porte atteinte au commerce en ligne. C’est la raison pour laquelle il faut réglementer strictement cette pratique plutôt que de l’interdire. Les patients cherchent de plus en plus à accéder à leurs médicaments à distance, surtout en milieu rural ou lorsqu’ils ont des limitations physiques. Le commerce électronique est devenu un outil incontournable dans tous les domaines, y compris la santé. Par exemple, les pharmacies agréées, inscrites à l’Ordre, peuvent vendre en ligne, et uniquement certains médicaments. Car une interdiction totale pousse les patients vers les circuits illégaux, incontrôlables et dangereux. C’est la vente sauvage et non encadrée qu’il faut interdire.
Une campagne de sensibilisation est nécessaire
La vente en ligne doit être autorisée uniquement dans les pharmacies agréées, enregistrées auprès du ministère de la Santé, via des plateformes sécurisées, traçables et contrôlées. Par contre, il faut interdire impérativement toute vente sur les réseaux sociaux, forums ou sites non autorisés, ou via des publicités illégales de médicaments. Par ailleurs, une campagne de sensibilisation nationale est nécessaire avec la mise en place d’une plateforme nationale de pharmacie sur internet. Les députés ont exprimé leur volonté de collaborer avec le gouvernement afin d’éradiquer ce phénomène de vente anarchique de médicaments par internet, qui constitue une menace et un danger certain pour les citoyens. De leur côté, les responsables au ministère de la Santé ont assuré leur volonté d’œuvrer davantage à l’amélioration de la gouvernance au sein de la Pharmacie centrale afin de garantir l’approvisionnement des médicaments ainsi que la maîtrise des coûts.
Tolérer avec régulation, plutôt que d’interdire sans alternative
Ainsi, face à la montée inquiétante de la vente illégale de médicaments en ligne, la Tunisie se trouve à un carrefour stratégique : interdire sans alternative serait contre-productif, mais tolérer sans régulation serait dangereux. Il est urgent de mettre en place un cadre légal clair, rigoureux et adapté aux réalités numériques, tout en garantissant aux citoyens un accès équitable, sûr et transparent aux traitements médicaux. Protéger la santé publique, c’est aussi restaurer la confiance dans les circuits officiels, moderniser l’accès au médicament et miser sur l’intelligence et la clairvoyance des citoyens. Le défi est grand, mais il est à la mesure d’une réforme attendue depuis trop longtemps.
Ahmed NEMLAGHI