Par Slim BEN YOUSSEF
La souveraineté énergétique a ceci de singulier : le Nord en jouit, le Sud en rêve. Entre les deux, un écart entretenu, où se rejouent les vieilles lois de la dépendance : qui produit, qui paie, qui consomme, qui obéit. Dans ce vide organisé, les chaînes d’approvisionnement prolongent les chaînes coloniales. Le nucléaire y fait office de langue morte réservée aux puissants – un alphabet interdit à ceux qu’on préfère illettrés.
L’agression américano-sioniste contre l’Iran a révélé une chose : si Téhéran en sort debout, il ne plaidera plus son bon droit au nucléaire civil – il l’imposera. Et ce droit-là deviendra contagieux. Une fois la brèche ouverte, c’est tout le Sud global qui pourra y inscrire sa légitimité.
Alors il faut poser la question, frontalement : qu’est-ce qui empêche, par exemple, la Tunisie, parmi d’autres nations du Sud, de se doter de l’atome civil – de sa lumière et de son autonomie ? Rien. Car l’accès au nucléaire civil est un droit – inaliénable, universel, stratégique – arraché aux peurs, inscrit dans les traités, suspendu dans les limbes d’un avenir surveillé.
Rien ? Sinon l’architecture opaque d’un ordre mondial qui autorise par exception et interdit par principe. Un ordre qui ne dit pas son nom, et qui répartit la technologie selon l’autorité : qui peut y prétendre, qui peut l’autoriser, qui peut l’interdire.
L’atome, lui, est franc : il soigne les corps, éclaire les villes, propulse les nations. Il promet une autonomie réelle, une croissance maîtrisée, une souveraineté sans laisse. Et c’est bien cela qui dérange. Ce n’est pas la bombe qu’on redoute, c’est la parité. La sortie de dépendance.
La sécurité est l’alibi. Le vrai mobile, c’est l’asymétrie durable. Derrière les discours de précaution : la peur du déclassement, la gestion du soupçon, le verrouillage technologique et le flicage de la science.
Reposons encore une fois la question : pourquoi la Tunisie ne peut-elle pas accéder au nucléaire civil ? Parce qu’elle a l’audace d’être au Sud. L’atome, chez nous, est traité comme une ambition gênante, une témérité géopolitique, une prétention à la maturité. Bref, une menace.
Qu’est-ce que le soupçon nucléaire ? Une caste d’États inquiets de perdre leur monopole sur la modernité.
L’Iran demeure le coupable idéal. Israël, l’exception consacrée. L’Inde et le Pakistan, les irrégularités de l’Histoire. Et la Tunisie ? Elle attend. Non la technologie, mais le droit d’y croire. Un feu vert suspendu comme une récompense qu’on n’a pas le droit de mériter.
Il est temps d’interrompre cette liturgie docile où l’on attend la permission d’exister. Le Sud global, dont la Tunisie, ne quémande ni faveur, ni caution, ni tutorat. Il est dans son droit de revendiquer un droit, de proposer une voie, d’affirmer une légitimité. Celle d’un monde adulte, où la modernité n’est plus un privilège consenti, mais un droit exercé.