Au moment où des milliers de médecins sont en train de migrer vers l’Europe, ce sont les jeunes médecins qui ont pris la relève pour assurer, dans tous les établissements sanitaires, les soins nécessaires, souvent dans des conditions difficiles et une rémunération qui est loin de les satisfaire. Ces prestataires de services vitaux de santé, mécontents de leur situation, sont en grève depuis hier mardi au moment où l’absence de compromis risque de voir cette grève toucher dangereusement à la santé des citoyens qui se trouvent, malgré eux, privés de soins. Verra-t-on les parties prenantes de ce bras de fer faire preuve de plus de responsabilité et de lucidité pour mettre fin à cette grève qui ne sert, en fin de compte, aucune partie ?
Ce sont quelque 7 000 jeunes médecins, internes et résidents, qui ont entamé, à partir du 1er juillet 2025 une grève générale dans l’ensemble des établissements hospitaliers publics. La grève intervient alors que nous savons que des milliers de médecins ont déjà quitté le pays et que le personnel manque dans quasiment tous les services.
Comment expliquer ce qui est en train de se passer, surtout dans un secteur aussi sensible et vital que la santé ?
Que s’est-il passé lors des négociations entre les médecins et les autorités compétentes pour voir la première grève de cinq jours amener une autre, plus redoutable puisque les hôpitaux risquent de rester sans résidents pendant tout le mois de juillet ?
Quelles propositions ont été remises à ces jeunes médecins pour les voir rejeter ces alternatives et s’en tenir à la grève qui risque de paralyser le fonctionnement des hôpitaux publics?
Revendications
Dans une déclaration aux médias, Wajih Dhakar, le président de l’OTJM, a indiqué que ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une série de revendications longtemps ignorées par les autorités. Il a précisé que la grève bénéficie du soutien des médecins hospitaliers, ainsi que du Conseil national de l’Ordre des médecins, signe d’un front médical uni face au mutisme de la tutelle. D’après ses dires, « les jeunes médecins dénoncent une dégradation continue de leurs conditions de travail, jugées indignes et épuisantes, tant sur le plan matériel que moral. Ils réclament également une revalorisation des primes, souvent jugées insuffisantes par rapport à la charge de travail assumée, notamment dans les hôpitaux régionaux et les services des urgences. »
Selon Baha Eddine Rebaï, le vice-président de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), rien n’a été fait pour satisfaire les principales revendications de ces médecins : « C’est intenable, on nous pousse à partir », déplore-t-il. Que s’est-il passé lors des réunions entre l’OTJM et les représentants du ministère de la Santé pour débloquer la situation ? Quasiment rien de positif, selon Dr Rebai : « Nous avons discuté, mais en vain, car le ministère invoque des raisons ‘’administratives et de bureaucratie’’ pour expliquer son refus de satisfaire nos demandes ». Il va même encore plus loin en évoquant des suites à cette grève : « On va aussi boycotter le choix des postes de stage, ce qui signifie qu’il n’y aura plus de résidents dans nos hôpitaux dès le mois de juillet », prévient-il.
Il y a lieu de rappeler que l’ensemble des médecins résidents, des internes et des étudiants en médecine sur tout le territoire de la République, ont déjà exécuté une grève générale du travail et de toutes les activités hospitalières et universitaires, les 12, 13, 16, 17 et 18 juin 2025, à l’exception des gardes et des services d’urgence, et avec un boycott de l’examen des centres de stages pour les médecins résidents.
Le ministère de la Santé invoque « une réforme structurelle globale »
Et le ministère de la Santé dans tout cela ? Cela fait déjà presqu’un mois que le gouvernement a publié un arrêté conjoint émanant des ministères de la Défense nationale, des Finances et de la Santé publique, fixant à 2 000 dinars par mois la prime exceptionnelle accordée aux jeunes Tunisiens appelés au service civil et affectés aux structures sanitaires publiques. Outre cette indemnité mensuelle, le texte prévoit la prise en charge des cotisations sociales par le ministère de la Santé, ce qui permet aux jeunes médecins de bénéficier d’une couverture médicale et de droits à la retraite durant leur période d’affectation.
Cette mesure, confirmée par un décret paru au Journal officiel, marque une revalorisation de la prime de service civil, auparavant fixée à 1 450 dinars. Elle s’inscrit dans un ensemble d’actions visant à améliorer les conditions d’exercice des jeunes professionnels de santé mobilisés dans le cadre du service national, notamment dans les zones à faible couverture médicale.
Concernant l’augmentation des salaires, le ministère a confirmé qu’il « inscrit cette revendication dans le cadre d’une réforme structurelle globale visant à garantir l’équité entre les différents professionnels du secteur de la santé, en cours de préparation et qui entraînera une amélioration réelle des salaires ».
Or, l’Organisation des jeunes médecins a réagi passivement à cette annonce en saluant ce qu’elle qualifie de « première réponse officielle à certaines de ses revendications ». Toutefois, l’organisation a rappelé que d’autres points restent en suspens, notamment la question de la faible rémunération des heures de garde, qui varierait entre 1 et 3 dinars l’heure, ainsi que celle du niveau des salaires mensuels, jugés insuffisants.
Parvenir, coûte que coûte, à un compromis
C’est dire que, finalement, le secteur de la santé, avec tout ce dont il souffre en manque de personnel, d’équipements et même de sécurité, risque de voir sa situation s’aggraver davantage au grand dam du citoyen, déjà peu content des prestations fournies dans les hôpitaux et qui risque de ne voir aucun médecin rôder dans les couloirs des services pendant un certain moment, avec toutes les graves répercussions qui peuvent s’ensuivre.
Et c’est pour cette raison que les deux parties de ce bras de fer doivent faire preuve de sagesse et de sens de responsabilité pour parvenir à un compromis qui ne lèse aucune des deux parties, apaise les craintes grandissantes des citoyens et tienne en vie un secteur aussi vital que la santé.
Kamel ZAIEM