Par Slim BEN YOUSSEF
Il faut considérer ceci : l’ordre mondial en vigueur produit une stabilité instable, une croissance inégalitaire, un progrès amputé. En organisant l’asphyxie, en recyclant l’injustice, il administre les crises comme on administre un empire – à distance, sans remords. Dans ce casino planétaire, le Sud mise sa souveraineté, le Nord empoche le progrès. Et l’on baptise cela coopération. Une coopération qui, dans ce théâtre, prend des airs de courtoisie coloniale.
La politesse diplomatique a fait son temps. Ce qu’il faut désormais, c’est une refonte en profondeur des mécanismes de financement mondial – à la mesure des défis que l’on escamote : climat, numérique, souveraineté. Et surtout, briser le sortilège de la dette, cette foi aveugle sans transcendance, qui sacrifie les peuples sur l’autel des agences de notation.
La Tunisie a désigné ce que l’on sait taire : un système mondial qui prétend corriger ce qu’il perpétue. Un ordre hérité d’un autre siècle – celui où les nations s’alignaient, se soumettaient, ou s’effondraient.
Le Sud n’est ni un laboratoire, ni un marché sous tutelle. Il est un sujet politique, porteur d’une histoire profonde, d’un imaginaire mutilé, d’un avenir décisif. Effacer des dettes iniques, rapatrier les fonds détournés, soutenir des transitions vitales : voilà le minimum d’une réparation.
Plaidons-nous pour réinventer l’humanitaire ? Commençons par désarmer l’hypocrisie. Par ne plus travestir la domination en coopération. Et surtout, par dire, calmement mais fermement, cette vérité trop simple pour les puissants : la solidarité, si elle ne devient pas transfert, transfusion, transformation, ne vaut guère plus qu’un alibi.
Ce que la Tunisie énonce, c’est un rappel à l’ordre : le développement durable, s’il n’est pas équitable, n’est qu’un oxymore global. Sans justice, il n’aura pas lieu. Ou pire : il aura lieu contre ceux qu’il prétend servir.
À quoi bon invoquer la solidarité collective si l’on détourne le regard des blessures ouvertes ? Tant que la Palestine demeure une plaie vive dans l’architecture du monde, tout discours sur l’ordre global restera une gestion cynique de l’instabilité – tragédie pour les uns, rente pour les autres.
Un pacte peut être un confort, ou une servitude. À force de le renouveler, il devient un réflexe – ou un mensonge. Et parce qu’il y a des pactes qu’on ajuste, et d’autres qu’on abroge, la Tunisie a préféré la dissonance au rituel : elle a nommé l’impasse, et refusé de communier.