Pourquoi certains responsables administratifs bloquent-ils encore les demandes des citoyens ? En fait, c’est une attitude qui n’est pas nouvelle. Elle s’est consolidée au fil des années, notamment durant la dernière décennie, marquée par la prolifération de pratiques de corruption. Demander un rendez-vous, passer une visite médicale à l’hôpital, déposer un dossier ou simplement solliciter un entretien d’embauche devrait relever d’une démarche administrative normale, soumise à des délais raisonnables. Pourtant, dans de nombreux cas, ces démarches sont arbitrairement freinées, voire bloquées, sauf si l’on verse un pot-de-vin ou que l’on fasse appel à des intermédiaires influents. Avec des dessous-de-table, les portes s’ouvrent soudainement, les délais se raccourcissent et les priorités changent.
Cette logique perverse a gangrené l’administration, instaurant une culture du « bakchich » et de la médiation informelle, au détriment de l’égalité des citoyens devant les services publics.
Ce dysfonctionnement n’est pas seulement le fruit d’un laisser-aller ou d’un manque de moyens, il est souvent entretenu activement par des groupes d’intérêt, résidus d’un système de clientélisme enraciné. Ces réseaux, parfois bien organisés, continuent d’agir en coulisses, encourageant certains agents à bloquer les projets de développement ou à ralentir les services, dans le but de créer un climat de tension et d’instabilité. Les séquelles de cette période sont profondes. Aujourd’hui encore, certains responsables, au lieu de servir l’intérêt général, préfèrent saboter l’action publique, parfois par loyauté à d’anciens clans, parfois pour en tirer un profit personnel. Ce comportement porte gravement atteinte à la confiance du citoyen envers l’État, et freine tout effort de réforme et de redressement.
Remplacement des agents inefficaces par les jeunes en chômage
C’est la raison pour laquelle le Président de la République Kaïs Saïed ne cesse de parler de restructuration de plusieurs institutions publiques. Face à une administration parfois jugée inefficace, Il propose de remplacer les agents improductifs, souvent issus de recrutements clientélistes passés, par des chômeurs compétents, notamment parmi les jeunes diplômés. Une solution qui peut marquer une étape importante vers une fonction publique plus équitable et efficace. Toutefois, cela comporte certains risques qu’il faut prévoir afin d’agir de la manière la plus efficace. Il convient d’abord de revoir les textes sur lesquels se basent ceux qui en font un prétexte à tort ou à raison d’ailleurs, pour rejeter les demandes des citoyens ou les reporter indéfiniment. Il faut dire que jusque-là, plusieurs procédures ont été simplifiées ou supprimées, dans le but de faciliter le climat des affaires et de promouvoir l’initiative privée. Une révision radicale des cahiers des charges a été entreprise, mais il n’y a pas eu jusque-là de résultat concret. Une séance d’audition de certains responsables au sein de la Banque centrale et du ministère de l’Economie, a été organisée en mars 2025 par la Commission des finances et de la planification au sein du parlement, les députés membres de la Commission ont fait savoir qu’un inventaire des cahiers des charges a été effectué et qu’ils ont été classés selon leur impact sur l’économie nationale et leur degré de complexité. Ils ont déclaré que 100 cahiers des charges seront révisés d’ici la fin de l’année 2025. Mais on ne sait toujours pas la suite réservée à cette question.
Par ailleurs, remplacer des agents inefficaces par ceux qui sont à la recherche d’emploi depuis des mois, voire des années, est une idée tout à fait logique, d’autant plus qu’il y a des agents inefficaces, voire des institutions qui ne servent pas à grand-chose. Ils seront remplacés par ceux qui seraient animés de la volonté de participer à l’édification nationale et à la lutte contre la corruption, en dépit de leur manque d’expérience. Cependant, cela nécessite une étude préalable en vue de la mise en œuvre de solutions idoines, afin d’éviter les problèmes générés par un limogeage automatique, tels que les actions en justice pour licenciement abusif.
Distinguer les agents inefficaces des agents loyaux
Il convient donc d’évaluer les agents administratifs qui sont en exercice, avant tout remplacement et ce, par la mise en place d’un système d’évaluation transparent et rigoureux basé sur la performance, la ponctualité, le respect des missions et l’impact réel. Ce qui permettrait de distinguer clairement les agents inefficaces des agents loyaux. Cela pourrait se réaliser par la création de commissions indépendantes pour éviter les règlements de comptes ou les décisions arbitraires. Pour les agents écartés, hormis ceux qui sont de mauvaise foi notoire et avérée, on pourrait prévoir des plans de reconversion, de formation ou de départ volontaire. Car il y a des droits acquis et des conditions d’ancienneté qu’il faut respecter, en vertu de la législation en vigueur. A titre d’exemple, les employés de la société de sous-traitance « Itissalia Services » qui a été dissoute, suite à l’adoption d’une nouvelle loi en mai 2025 interdisant la sous-traitance, ont été intégrés directement dans les effectifs des structures où ils travaillaient, ou amenés à être reconvertis. Ce qui est dans le respect des droits acquis et les statuts des agents intégrés légalement. Aussi convient-il d’organiser un recrutement pour les jeunes diplômés, selon leur mérite, avec des critères de compétence et d’adaptabilité à l’administration moderne et en privilégiant les besoins réels des services publics locaux.
Justice, efficacité et humanité
Cette approche est de nature à redonner de la crédibilité au service public qui doit être au service du citoyen. Il importe pour cela de moderniser l’administration pour faire disparaître le clientélisme. Ce qui implique de numériser les procédures administratives pour réduire l’intermédiation et la corruption, en instaurant un code de déontologie pour les nouveaux recrutés et en renforçant le contrôle interne et la traçabilité des décisions administratives. Ainsi, remplacer les agents improductifs par de jeunes diplômés ne doit pas être une purge, mais une reconstruction. Une réforme qui combine justice, efficacité et humanité peut véritablement redonner à l’administration publique tunisienne sa vocation première : servir l’intérêt général. Ces résolutions s’inscrivent pleinement dans la voie tracée par le Président Kaïs Saïed, qui entend remettre l’administration publique au service du citoyen et non des intérêts particuliers. En remplaçant les agents improductifs issus d’un système clientéliste par des compétences jeunes et méritantes, la confiance dans l’État sera restaurée, l’égalité d’accès à l’emploi garantie et la fonction publique deviendra un levier de justice sociale, d’efficacité et de développement. C’est une réforme de rupture, mais aussi une réforme d’avenir.
Ahmed NEMLAGHI