La Tunisie s’apprête à franchir un tournant décisif dans la gestion des constructions non autorisées. Une proposition de loi en cours d’examen parlementaire prévoit l’introduction d’un système d’amendes graduées, destinées à encadrer et à légaliser des milliers de bâtiments érigés sans les autorisations requises. Ce dispositif, qui pourrait prochainement entrer en vigueur, vise à remettre de l’ordre dans un paysage urbain souvent caractérisé par l’informel et le non-conforme.
Depuis des années, les constructions sans autorisation prolifèrent dans de nombreuses régions, notamment en périphérie des grandes villes et dans certaines zones rurales.
Cette tendance, alimentée par des failles administratives, des retards dans la délivrance des permis de bâtir et une certaine tolérance institutionnelle, a produit un tissu urbain souvent chaotique, où les normes d’aménagement sont régulièrement contournées.
Face à cette réalité, un groupe de députés a présenté un projet de réforme visant à encadrer juridiquement cette situation. Leur proposition consiste à établir une grille d’amendes dont le montant variera selon la surface construite en excès et la nature de l’ouvrage concerné. L’objectif est double : d’une part, rétablir une certaine cohérence dans l’organisation du territoire, d’autre part, permettre à l’État et aux collectivités de régulariser une situation longtemps figée.
Le mécanisme envisagé prévoit des montants allant de 35 à 700 dinars par mètre carré supplémentaire. Ce système progressif tiendra compte de critères encore à préciser, mais qui pourraient inclure la vocation du bâtiment (habitation, commerce, industrie), sa localisation, ou encore le respect partiel ou total des règles d’urbanisme initiales. Ces sommes viendraient s’ajouter aux frais classiques du permis de construire. Ainsi, la régularisation ne serait pas une simple formalité, mais une procédure encadrée, soumise à des engagements financiers destinés à dissuader les abus à l’avenir.
Une nouvelle lecture de l’urbanisme
L’un des volets clés de cette réforme concerne l’élargissement du champ d’application de la législation existante. Il est désormais envisagé d’intégrer les bâtiments construits jusqu’à début 2025 dans le dispositif de régularisation. Cela signifie que de nombreux propriétaires, jusque-là dans l’illégalité ou dans l’attente d’une solution administrative, pourraient bénéficier de ce cadre légal pour mettre leur situation en conformité. Par ailleurs, la durée de dépôt des dossiers de régularisation serait fixée à trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Les citoyens devront alors se rapprocher des services municipaux pour soumettre leurs demandes, appuyées par des plans et des documents techniques. Un récépissé leur sera délivré, garantissant la prise en charge de leur dossier dans un délai défini.
La mesure répond aussi à une situation juridique bloquée. Depuis plusieurs années, le texte encadrant la régularisation des constructions sans permis était resté inappliqué, faute de décrets d’application ou de volonté politique claire. Ce vide a paralysé les municipalités, incapables de traiter les demandes existantes, et a incité certains à continuer de bâtir sans se conformer aux exigences légales. La nouvelle proposition de loi entend corriger cette dérive en redonnant aux autorités locales les moyens de réguler leur territoire. Elle ambitionne aussi de remettre les règles au centre du processus d’urbanisation, en rappelant que tout développement, pour être durable, doit s’inscrire dans un cadre cohérent et respectueux de l’intérêt collectif.
Une mesure qui ne fait pas l’unanimité
Malgré son apparente logique, la proposition ne fait pas l’unanimité. Certains urbanistes redoutent qu’elle n’ouvre la voie à une forme de légalisation implicite du non-respect des règles. En d’autres termes, il pourrait s’agir d’un précédent qui encouragerait les futures infractions, les contrevenants sachant qu’une solution financière pourrait être proposée à terme. D’autres, en revanche, y voient une opportunité réaliste de régler un problème ancien, qui mine la crédibilité de l’État et freine l’investissement. En légalisant ce qui a été construit de manière irrégulière, le pays pourrait remettre à niveau son cadastre, améliorer la perception des taxes locales et favoriser la réhabilitation des quartiers mal intégrés au tissu urbain.
Si elle est adoptée, cette nouvelle réglementation pourra marquer un tournant pour l’aménagement urbain en Tunisie. Elle permettra non seulement de régulariser des situations individuelles, mais aussi de dégager une vision plus claire du territoire à long terme. L’État tunisien, souvent accusé de laxisme en matière d’urbanisme, enverrait ainsi un signal fort : il est encore possible de réconcilier développement urbain et respect des normes. La réussite de cette démarche dépendra toutefois de la clarté des critères d’application, de la transparence du processus et surtout, de la capacité des institutions à faire respecter les règles une fois pour toutes.
Leila SELMI
