Dans une initiative sans précédent, les autorités s’apprêtent à relancer un modèle d’accès progressif au logement qui pourrait répondre aux attentes pressantes d’une large partie de la population. Un projet de résidence, prévu à Zahrouni dans la capitale, marquera le coup d’envoi de cette démarche expérimentale, qui vise à rapprocher la propriété immobilière des citoyens à revenus modestes, sans les soumettre à une charge financière initiale insurmontable.
Face à l’envolée des prix dans le secteur résidentiel et à la difficulté croissante pour les familles d’accéder au crédit bancaire, le gouvernement tunisien mise désormais sur une méthode hybride combinant location et acquisition.
Ce système repose sur un principe simple : les familles occupent un logement moyennant un loyer modéré, tout en construisant progressivement leur droit de propriété. Au terme d’un contrat déterminé, et après avoir honoré les engagements financiers prévus, le logement devient leur bien, sans avoir à passer par un financement bancaire classique. Ce mécanisme, qui avait été expérimenté avec parcimonie dans les années 1980, est aujourd’hui présenté comme une réponse pragmatique à la crise de l’accession à la propriété, exacerbée par les exigences des banques et la stagnation du pouvoir d’achat. Son retour marque une volonté politique affirmée de remettre l’habitat au cœur des politiques sociales du pays.
La cité de Zahrouni a été choisie pour héberger la première opération dans ce cadre. Cent logements y seront construits dans un ensemble résidentiel conçu pour répondre aux normes de confort modernes, mais aussi à une logique de proximité avec les infrastructures urbaines : écoles, transports, services de base. Cette opération, portée par un promoteur immobilier public, incarne le modèle que le gouvernement ambitionne de généraliser. Si l’expérience se révèle concluante, elle pourra déboucher sur un élargissement progressif du dispositif à d’autres régions du pays dès 2026.
Une volonté politique forte pour soutenir le dispositif
Le retour de ce schéma de propriété progressive s’inscrit dans un contexte plus large de réforme du secteur de l’habitat. Ces derniers mois, les autorités ont multiplié les annonces et les textes juridiques en ce sens. Deux projets de loi, examinés en Conseil des ministres, visent à adapter les législations existantes pour permettre aux principaux opérateurs publics de l’immobilier de proposer des formules plus flexibles, rompant avec les modèles rigides en vigueur jusqu’ici.
L’idée est d’offrir à des milliers de Tunisiens l’opportunité de devenir propriétaires sans passer par des prêts à long terme, souvent hors d’atteinte. Dans une conjoncture où l’accès à la banque est restreint, notamment pour les jeunes ou les travailleurs précaires, cette orientation représente une alternative porteuse d’espoir.
Un cadre réglementaire en cours d’aménagement
Pour accompagner la mise en œuvre de cette réforme, le ministère concerné prépare une série de textes d’application, dont certains concernent la révision des dispositifs de financement existants. L’un des axes principaux repose sur l’aménagement du Fonds de soutien au logement destiné aux salariés. En élargissant son champ d’intervention, les pouvoirs publics souhaitent permettre aux opérateurs publics d’utiliser ce fonds non seulement pour la construction, mais aussi pour proposer des logements selon cette nouvelle méthode d’accession. Par ailleurs, une révision du décret encadrant ce fonds est en cours, afin de faciliter l’éligibilité des projets pilotes à ces financements publics. Ces ajustements sont jugés indispensables pour assurer la viabilité économique du dispositif, tout en garantissant des conditions d’accès équitables aux citoyens ciblés.
Une dynamique de réforme à renforcer
Ce projet, bien qu’encore au stade expérimental, s’inscrit dans une volonté plus large de repenser le modèle du logement en Tunisie. En adaptant les outils juridiques et financiers aux réalités du terrain, les autorités entendent rompre avec les échecs du passé, où de nombreux programmes sociaux se sont heurtés à des blocages administratifs, à des dérives dans l’attribution ou à des retards de livraison chroniques. Cette fois, les choses semblent différentes : le calendrier a été établi avec clarté, les rôles des différents acteurs sont bien définis, et la priorité semble être donnée à la transparence et à l’inclusion sociale.
Le choix de relancer un modèle de propriété par étapes traduit un constat clair : pour des milliers de Tunisiens, l’achat d’un logement dans les conditions actuelles relève de l’utopie. En permettant à ces familles de s’ancrer dans un parcours résidentiel, sans les précipiter dans l’endettement ou la précarité, le pays pourrait poser les bases d’un nouveau contrat social.
Au-delà des chiffres, des lois et des plans d’aménagement, c’est bien la reconnaissance du droit à un habitat stable, sûr et accessible qui se joue ici. Une reconnaissance d’autant plus essentielle dans un contexte où le logement reste le fondement de la stabilité familiale, de la sécurité économique et de l’insertion sociale.
Leila SELMI
