On parle beaucoup de l’exploit médical qui a eu lieu ce mercredi 30 juillet en Tunisie : il s’agit de quatre greffes d’organes effectuées avec succès sur quatre personnes par des compétences médicales tunisiennes dans quatre hôpitaux différents, à savoir La Rabta, Mongi Slim (La Marsa), Charles Nicolle et Fatouma Bourguiba (Monastir) et ce, grâce au don d’un patient en état de mort cérébrale. On ne saurait qu’applaudir cet acte humain fait par la famille du donneur et cette prouesse médicale qui a pu sauver d’une mort certaine quatre personnes en attente d’un organe salvateur.
En fait, de nombreuses personnes, adultes et enfants, sont à ce jour dans l’attente d’une transplantation d’organes, surtout quand il s’agit d’organes vitaux comme le cœur, le foie et les poumons. Leur qualité et leur espérance de vie diminuent de jour en jour car elles ne peuvent être sauvées que par le don d’organes. Il est à noter que la greffe des organes existe depuis des années chez nous et qu’elle est pratiquée par des chirurgiens tunisiens très compétents. Mais beaucoup de Tunisiens manifestent encore une certaine réticence à la question. Pourtant, la législation sur le prélèvement et la greffe d’organes est encadrée par plusieurs lois et décisions administratives. Malheureusement, les résultats obtenus jusqu’à ce jour ne sont pas probants, pour des raisons diverses, notamment la rareté des donneurs d’organes et le manque de confiance en l’équipe médicale chargée de la greffe. Alors que ni la compétence de nos chirurgiens ni la transparence des lois ne manquent.
Un déséquilibre entre l’offre et la demande
Le Centre National pour la Promotion de la Transplantation d’Organes (CNPTO) travaille à sensibiliser la population et à augmenter le nombre de donneurs enregistrés. Les chiffres donnés par le Centre révèlent que depuis 1986 jusqu’à ce jour, il y a eu 2033 greffes rénales effectuées dans le pays. Mais on a encore 1.700 patients sur la liste d’attente rénale, 50 patients en attente d’un foie et 40 en attente d’un cœur. Devant ces chiffres, on constate un déséquilibre entre l’offre et la demande. Malgré le travail fourni, on a enregistré en 2022 la réalisation de 71 greffes rénales, 12 transplantations cardiaques et 8 transplantations hépatiques. Nous restons bien loin des chiffres souhaités, constatent les spécialistes du CNPTO. Par conséquent, selon le CNPTO, le taux de donneurs demeure faible n’atteignant que deux donneurs pour un million d’habitants, comparé aux pays développés, tels que l’Espagne où le nombre de donneurs dépasse cinquante par million d’habitants et la France qui en compte 25 pour un million d’habitants».
Il est à rappeler qu’avant de prendre la décision de procéder à une greffe d’organe, on doit passer par plusieurs étapes. En effet, pour qu’un malade puisse recevoir une greffe et continuer de vivre, cela nécessite une coordination extraordinaire entre plusieurs parties concernées. Cela débute par l’abord des proches du défunt, l’identification des patients receveurs compatibles, le prélèvement et le transport de chaque greffon vers sa destination puis enfin, la greffe des patients receveurs. Une législation exceptionnelle est en vigueur depuis 1999, fixant toutes les modalités concernant le don d’organes et assurant toutes les garanties éthiques à sa pratique. Quant à la religion, la jurisprudence islamique est claire sur ce sujet qui s’inscrit dans le cadre de la solidarité et du devoir de sauver des vies humaines, deux valeurs prônées par l’Islam.
Toutes les précautions nécessaires sont donc prises, concernant le donneur ou le receveur. Il n’y a pas d’âge pour recevoir un organe comme il n’y a pas d’âge pour le donner, nous sommes tous concernés, tous donneurs, tous receveurs. Pourquoi donc la majorité des Tunisiens éprouve-t-elle encore de la peur à s’engager dans cette action pourtant si noble, si généreuse ? Pourtant, chacun d’entre nous pourrait se retrouver un jour dans cette situation d’attente.
Les mentalités doivent changer
Cependant, les dons d’organes en Tunisie restent en deçà des objectifs escomptés, quoique la mentalité des gens semble avoir évolué dans le bon sens ces dernières années par rapport à ce qu’elle était il y a vingt ans. En effet, grâce à l’accord des donneurs vivants et de leurs familles, le nombre des opérations de greffe d’organes a augmenté sensiblement. Mais cela reste très insuffisant dans un pays où le nombre de décès causés par les accidents de la route sont très nombreux. Les spécialistes auraient souhaité qu’un grand nombre de ces accidentés de la circulation soient donneurs d’organes avant qu’ils ne meurent. Quand on sait que seulement 8000 personnes sont porteuses de la mention «donneur» sur leurs cartes d’identité depuis 1999, il y a de quoi s’inquiéter du sort des milliers de malades inscrits sur la liste d’attente qui sont menacés de mort à tout moment mais qui pourraient être sauvés grâce à un don d’organes.
Les chiffres montrent d’une manière générale que la majorité des greffes d’organes a été couronnée de succès et que des exploits médicaux sont réalisés par nos chirurgiens tunisiens, sauf que les dons d’organes restent toujours insuffisants par rapport aux besoins réels qui ne cessent de croître chaque année. Plusieurs familles tunisiennes restent réticentes quant au don d’organes pour des raisons culturelles, traditionnelles ou religieuses, soit parce qu’elles s’accrochent encore à la thèse peu convaincante de l’intégrité du corps de l’homme mort qu’il faut respecter, soit qu’elles n’ont pas confiance en ce genre d’opérations qui pourraient être sujettes à des trafics d’organes.
Pourtant, les responsables, veillant à la promotion et à la bonne marche de ce programme, ne cessent de rassurer la population sur la transparence des faits et des procédures concernant le don d’organes. Cette mentalité, qui perdure malgré toutes les précautions assurées par la législation en vigueur, constitue un grand handicap pour les spécialistes et les responsables de ce programme qui comptent doubler et même tripler le nombre de transplantations d’organes en Tunisie. Ce ne sont ni les moyens ni les compétences qui manquent. Les technologies ont également beaucoup évolué dans ce domaine. Ce sont les mentalités qui doivent changer. Quand viendra le temps où le don d’organes s’érigera en culture en Tunisie ?
Hechmi KHALLADI
