La diffusion de certaines photos et de vidéos sur les réseaux sociaux, lors de certains festivals d’été, en dehors des cadres légaux, a suscité une vive réaction du ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées. Dans un communiqué publié récemment, la ministre Asma Jebri a chargé le délégué général à la protection de l’enfance de saisir le parquet en vue de demander l’ouverture d’une enquête, suite à des signalements concernant la diffusion de photos et de vidéos montrant des scènes portant atteinte à des enfants lors de leur présence à ces festivals d’été. Le ministère a rappelé que la diffusion de telles images constitue une infraction à la législation en vigueur relative à la protection de l’enfance.
Ces publications d’images de vidéos sont contraires à la loi organique n°63 de 2004 du 27 juillet 2004 relative à la protection des données personnelles. Elles constituent en outre une infraction au code de protection des enfants. Il est stipulé dans cette loi, que l’usage de données personnelles de mineurs, telles que les photos par des institutions éducatives et des structures de l’enfance, ne peut se faire sans l’aval des parents, des tuteurs ou du juge de la famille. Cette loi est conçue dans le but de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle vise à protéger les mineurs de la cybercriminalité et de la pédopornographie sur internet. Des poursuites judiciaires sont prévues pour les contrevenants. A ce propos, l’ancien président de l’Instance nationale de protection des données personnelles, le défunt Chawki Gaddès, avait plusieurs fois mis en garde contre ce phénomène consistant à publier des images d’enfants sur les réseaux sociaux. Il avait ciblé les structures d’enfance telles que les jardins d’enfants ou les crèches. Il y a même des établissements qui publient des photos d’enfants mineurs à titre publicitaire, sans même l’autorisation de leurs parents. Ces derniers sont les premiers responsables de ce phénomène.
La protection de l’enfant : une responsabilité collective
Ce qui s’est passé dernièrement au cours de certains festivals, avec de jeunes filles mineures qui montent sur scène pour exprimer leur attachement en tant que fans à un artiste, a attiré l’attention de plusieurs observateurs dont des responsables d’associations de la protection de l’enfance. Moez Chérif, pédiatre et président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant, a salué cette initiative du ministère de saisir le parquet et a appelé à renforcer l’application des lois existantes pour une meilleure protection des mineurs, notamment dans l’espace public et médiatique. Comme l’a déclaré le ministère dans son communiqué, la protection de l’enfance est une responsabilité collective. Cependant, les premiers responsables, ce sont les parents. Ce n’est pas la première fois que de tels incidents surviennent, mais «la banalisation de ces scènes dans un cadre festif ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel, à savoir le respect de la dignité de l’enfant», a encore souligné Moez Chérif. Les parents sont effectivement appelés à faire preuve de vigilance, notamment lors de la participation de leurs enfants à des événements publics, et à évaluer les risques d’exposition non souhaitée ou inappropriée sur les réseaux sociaux. Ce débat relance une question de fond : faut-il mieux encadrer la présence des mineurs dans les festivals ? Certains appellent à l’adoption de règlements spécifiques pour éviter que des enfants ne soient utilisés à des fins de spectacle ou ne deviennent involontairement la cible de propos injurieux.
Des images, objet de spéculation
Ce qui pourrait, dans un autre contexte, être perçu comme un moment d’enthousiasme ou d’innocente admiration, une jeune fille montant sur scène pour saluer un artiste, se transforme rapidement, une fois filmé et diffusé, en objet de spéculation, de commentaire, voire de moquerie ou d’atteinte à la dignité. L’image, sortie de son contexte, circule à grande vitesse, échappe à tout contrôle, et peut avoir des répercussions psychologiques durables sur l’enfant. L’exposition non consentie ou mal encadrée d’un mineur dans l’espace public, qu’il s’agisse d’un spectacle, d’une émission ou d’un contenu en ligne, est ainsi devenue une problématique urgente. Il ne suffit plus de s’indigner après coup. Il est temps de repenser les mécanismes de protection de l’enfance à l’ère numérique. Cela passe par des lois plus strictes sur la diffusion d’images, par une meilleure sensibilisation des parents et des organisateurs d’événements, mais aussi par une vigilance constante de la part des plateformes numériques. Les enfants ne doivent pas être réduits à des éléments de «contenu» consommables, encore moins à des objets de divertissement viral. Leur image, leur intégrité physique et morale, et leur droit à l’intimité doivent primer toute autre considération.
Quelle frontière entre l’innocence d’un geste et son instrumentalisation médiatique ?
Dans ce contexte, la responsabilité est collective, mais elle est d’abord parentale. C’est aux familles de veiller à ne pas exposer leurs enfants mineurs à des environnements qui pourraient nuire à leur sécurité ou à leur dignité. Il revient aussi aux institutions éducatives, culturelles et judiciaires de collaborer pour renforcer la culture du respect des droits de l’enfant dans tous les espaces : physique, médiatique et numérique. En attendant les conclusions de l’enquête, cette affaire met en lumière une réalité encore trop négligée : à l’ère du numérique, la frontière entre l’innocence d’un geste et son instrumentalisation médiatique est de plus en plus mince. Et dans ce contexte, les enfants doivent plus que jamais être protégés. Face à des images d’enfants qui sont massivement diffusées sans contrôle lors d’événements publics, il est urgent de redéfinir les règles de protection des mineurs dans l’espace numérique. Car, à défaut d’encadrement rigoureux, l’espace numérique deviendra de plus en plus un lieu de danger pour les plus vulnérables, et chaque scène anodine pourra se transformer en traumatisme exposé à la vue de tous.
Ahmed NEMLAGHI
