Par Slim BEN YOUSSSEF
Il est des places fortes qu’on n’abandonne jamais à elles-mêmes. On en épaissit les murailles, on resserre les jointures, on polit les pierres comme on aiguise une lame. L’UGTT appartient à cette famille d’ouvrages rares : bâtie dans l’effort, trempée dans la douleur, agrandie dans l’élan des luttes victorieuses.
Depuis Hached, la forteresse a tenu sous des tempêtes qui auraient balayé des bastions moins enracinés. Elle a traversé le fracas des grèves, subi les sièges du pouvoir, colmaté les brèches ouvertes par la répression. Elle a tenu. Mieux : elle a instruit ses veilleurs, aguerri ses guetteurs, endurci ses lieutenants.
Après 2011, la forteresse subit le choc frontal : les murailles de la place Mohamed Ali furent prises d’assaut par Ennahdha et ses milices. On voulut briser la porte, fissurer la pierre, disperser la garde. Ces raids obscurantistes échouèrent. Les murs restèrent debout, et avec eux la mémoire vive des combats qui les avaient érigés.
Et si d’autres assauts viennent, ils se briseront sur la même pierre.
Voilà qui est dit.
Mais le danger n’est pas toujours aux portes : parfois, il se glisse entre les murs. Plus une forteresse résiste, plus le risque grandit de la voir s’enfermer dans ses propres murailles. Assoupie, la citadelle se réduit vite à un décor. Retranchée, elle se change en prison.
L’UGTT, elle, a cultivé l’art de se refaire sans se renier. Sa tradition est aussi celle de la réinvention, où l’on restaure les pierres sans déplacer les fondations. Défendre les travailleurs, oui ; mais aussi porter une idée de la dignité nationale, où l’économie, la justice sociale et la liberté publique ne sont pas trois causes séparées mais trois faces d’un même héritage.
Une trinité indivisible ? Dans la pensée syndicale, chaque serrure protège plusieurs portes, et chaque porte mène à plusieurs droits. L’UGTT l’a su dès l’origine : séparer le social du politique, ce serait séparer la pierre du mortier et oublier que c’est l’ensemble qui tient le mur.
La vigilance n’est plus alors une simple garde de nuit : elle est relevé de plans, levée de mur et art du siège. Un travail d’architecte, de maçon, de capitaine de rempart.
La mission reste entière : garder les clés, décider quand ouvrir, quand fermer, quand en forger de nouvelles. Car la clé de l’UGTT est aussi celle d’un pays qui veut marcher, parler, travailler libre. Un pays décidé à rester debout.
